Les vendredi 27 et samedi 28 novembre 2020, Dodzi Gérard Djossou et Mme Brigitte Adjamagbo-Johnson, tous deux membres de la Dynamique Mgr Kpodzro (DMK) qui avait porté la candidature de Gabriel Agbéyomé Kodjo à l’élection présidentielle du 22 février 2020, ont été appréhendés et gardés depuis lors au Service central de recherches et d’investigations criminelles (SCRIC) de la Gendarmerie nationale. Dans la foulée, le Procureur de la République, Blaise Essolizam Poyodi, prompt à réagir quand il s’agit de « punir » un militant de l’opposition, parle de tentative d’« atteinte à la sécurité intérieure de l’Etat ». La nouvelle trouvaille pour décapiter définitivement ce regroupement de partis politiques qui continuent de revendiquer la victoire de leur candidat à la présidentielle. C’est le nouveau film togolo-togolais de cette fin d’année : de la clé USB aux documents compromettants en passant par la disparition au cimetière et es amulettes

Lire aussi:Arrestation d’Adjamagbo, affaire Adjakly… Les grosses révélations de Mediapart

Restez à jour en vous abonnant à notre canal Telegram.

On enlève des citoyens et on met au point le délit après

« Au Togo, on enlève un citoyen dans la rue et on le conduit à une destination inconnue. Ce n’est que plus tard que la famille, alertée, se lance à sa recherche. Et après avoir fait et refait les tours des différents lieux de détention, c’est toujours au SCRIC qu’on retrouve finalement le kidnappé. La suite, on fait feu de tout bois pour lui trouver un délit. C’est désormais le mode opératoire au Togo », déplore un défenseur des droits de l’homme. Un constat réel si on se réfère à ce qui se passe avec le sieur Dodzi Gérard Djossou, président de la commission des questions sociales en charge des droits de l’homme de la Dynamique Mgr Kpodzro. Il a été enlevé en pleine ville après une rencontre entre le Groupe des 5 (ambassadeurs d’Allemagne, Etats-Unis, France, Union européenne et Coordonnateur du système des Nations unies) et une délégation de la DMK qui avait appelé pour le 28 novembre à une marche pacifique interdite par le ministère de l’Administration territoriale, de la Décentralisation et des Collectivités locales.

« Il s’agit d’intimider les Togolais. Nous trouvons cela dommage car ces pratiques ne règleront rien. Le régime en place gagnerait plutôt à laisser tomber tout ce qui est intimidations et représailles, à laisser le prétexte lié au Covid, à ne plus se fonder sur une loi sur les manifestations publiques qui a, par ailleurs, été jugée contraire aux droits de l’Homme par la commission des droits de l’Homme des Nations unies. Celle-ci a demandé que cette loi soit réformée. Et on nous l’oppose », a condamné Me Brigitte Adjamagbo-Johnson sur les antennes de RFI le 28 novembre. Avant de dénoncer : « Toutes ces pratiques ne servent à rien. C’est une fuite en avant. Il y a une crise électorale au Togo. Les Togolais ne veulent plus de ce régime. Il faut que le régime revienne sur terre et que la crise soit réglée ».

Mais quelques heures plus tard, elle a été, à son tour, appréhendée et gardée au SCRIC. « Depuis l’interpellation de Gérard Djossou, Brigitte Kafui Adjamagbo-Johnson tentait de parler aux autorités. Selon la famille, elle a été appelée à la mi-journée, samedi 28 novembre, pour voir son collègue arrêté la veille. Vers 16 heures, accompagnée d’une dizaine d’agents, elle a été ramenée pour une perquisition qui a duré près de deux heures. A aucun moment, il ne lui a été dit qu’elle était en état d’arrestation. C’est au moment de quitter le domicile que ses parents ont entendu parler de son repas du soir… », rapporte RFI.

Lire aussi:Arrestation d’Adjamagbo et Djossou : Le Procureur de la République n’a rien sous la main?

Et le Procureur de la République sort de son chapeau un coup d’Etat

Face au tollé suscité par cette interpellation de trop, le pouvoir de Lomé tente de sauver la face. Le Procureur de la République, Blaise Essolizam Poyodi, est mis à contribution. Lui qui, dans un entretien accordé à Republicoftogo.com le 19 juin 2013, disait : « Le juge fait son travail conformément à la loi et en tenant compte de sa conscience. Il n’y a aucune pression », a rendu public un communiqué pour noyer le sieur Djossou et Mme Adjamagbo-Johnson. Le délit d’« atteinte à la sécurité intérieure de l’Etat » est bien cousu pour en finir avec ces empêcheurs de la jouissance du 4ème mandat. « Suite aux renseignements faisant état depuis quelques moments d’un plan de déstabilisation des institutions de la République en préparation au sein de la Dynamique Mgr Kpodzro, une enquête a été ouverte pour atteinte à la sécurité intérieure de l’Etat et confiée au Service central de recherches et d’investigations criminelles », a énoncé le Procureur de la République dans un communiqué lu dans le journal de 20h de la TVT. « Dans le cadre de cette enquête, Gérard Djossou, président de la commission des affaires sociales et des droits de l’homme au sein de la Dynamique Mgr Kpodzro a été interpellé dans la soirée du vendredi à Lomé par des éléments de la police judiciaire. Il a été procédé immédiatement à une perquisition à son domicile. Celle-ci a permis la découverte et la saisie des documents compromettants intéressant l’enquête », a poursuivi le communiqué. Pour M. Poyodi, « Lesdits documents révèlent la projection des actions violentes, visant à porter atteinte à la sécurité intérieure de l’Etat et qui devaient être mises en œuvre à partir des manifestations publiques prévues pour la journée du samedi 28 novembre 2020. L’enquête ayant révélé également que Mme Brigitte Kafui Adjamagbo-Johnson, coordinatrice de la Dynamique Mgr Kpodzro, était en possession d’autres documents en lien avec le plan de déstabilisation du pays projeté. Son interpellation dans l’après-midi de ce samedi a été rendue nécessaire. Il y a lieu de préciser que Mme Brigitte Kafui Adjamagbo-Johnson fait déjà l’objet d’une procédure judiciaire portant sur des faits similaires et placée sous contrôle judiciaires ». « L’enquête judiciaire en cours qui vise à déterminer les circonstances dans lesquelles ce projet criminel a été préparé et à rechercher les auteurs, coauteurs et complices de ce projet, se déroule dans le strict respect du principe de la présomption d’innocence et des règles procédurales en vigueur dans notre pays », a-t-il conclu.

On le voit, le Procureur de la République n’a pas perdu le temps. Quand il s’agit des militants de l’opposition, il est prompt à agir et justifier pourquoi ils ont été interpellés. Mais il n’a que faire des nombreux crimes économiques dont sont présumés coupables la plupart des pontes du régime.

De toutes les façons, Me Atsoo Darius, conseil du sieur Djossou, a, dans un communiqué rendu public lundi, battu en brèche la théorie de coup d’Etat développée par le Procureur. « En ce qui concerne le communiqué de Monsieur le Procureur de la République en date du 28 novembre écoulé, nous dénonçons une approche partiale et précipitée qui contraste fortement avec la réalité que révèle le contenu du dossier, lequel n’a révélé aucune existence de plan de déstabilisation des institutions de la Républiques. Nous craignons, après ce que Monsieur le Procureur de la République a affirmé dans ce communiqué, que cette enquête soit totalement et uniquement menée à charge afin de justifier une posture qui se dégage dudit communiqué », s’inquiète-t-il. Mais il engage « Monsieur le Procureur de la République à garantir effectivement une enquête indépendante et impartiale respectant les standards d’une procédure pénale équitable ». « Cette affaire ne repose sur aucun élément sérieux de fait et de droit, précise le communiqué. En conséquence, l’État togolais qui poursuit Monsieur DJOSSOU doit garantir sa sécurité voire sa vie. En tout état de cause, nous utiliserons tous les moyens de droit pour faire échec à un scénario subtilement déguisé en procédure pénale contre notre client, dont le seul tort, est d’être engagé politiquement pour la consolidation de l’Etat de droit dans son pays, et dont la vision politique, est fondée sur les principes affirmés dans la « doctrine sociale de l’église » (la dignité de la personne humaine, la vie humaine, l’association, la participation, la préférence pour les pauvres, la solidarité, la bonne gouvernance, la subsidiarité, l’égalité et le bien commun) ».

Le « Tollywood » pour imposer la loi du silence

Dans l’histoire de la cinématographie, le terme « Nollywood » est un mot-valise associant le « N » de Nigéria et le « ollywood » de Hollywood tout comme avec les Indiens qui ont créé Bollywood : « B » de Bombay et « ollywood » de Hollywood, quartier de Los Angeles, qui est le véritable symbole de l’industrie du divertissement. Par mimétisme, nous parlerons au Togo de « Tollywood » qui associe le « T » du Togo et le « ollywood ». Les productions cinématographiques nationales faisant cruellement défaut, les autorités politico-judiciaires en créent de temps en temps avec ces histoire de tentatives de « déstabilisation des institutions de la République ». Pour cette fin d’année, le film est prêt ainsi que la bande d’annonce.

Et le conseil du sieur Djossou a raison de se faire du mauvais après la sortie du Procureur de la République. Au Togo, l’accusation de coup d’Etat est souvent la solution toute trouvée pour réduire au silence et contraindre à l’exil des adversaires politiques. A preuve, depuis samedi, le SCRIC est en train de fouiller les fameux « documents compromettants » pour asseoir la thèse d’« atteinte à la sécurité intérieure de l’Etat ». Il n’est pas exclu qu’en dehors de Djossou et Mme Adjamagbo-Johnson qui sont toujours dans les locaux du SCRIC, d’autres ténors de la DMK soient appréhendés et que soit présenté le corps du délit, c’est-à-dire les « documents compromettants ». Comme la honte ne tue pas, on pourrait même les lire en direct à la TVT.

En effet, depuis l’arrivée de Faure Gnassingbé au pouvoir dans les conditions qu’on sait, on assiste à ces genres d’infractions taillées sur mesure pour créer une situation de torpeur dans le pays. Dans la nuit du 12 au 13 avril 2009, le domicile de Kpatcha Gnassingbé, député à l’Assemblée nationale et demi-frère du président, avait été attaqué par des hommes armés. Devant les médias, Kpatcha Gnassingbé avait accusé le Colonel Abalo Kadanga (général depuis plusieurs années) des Forces d’intervention rapide d’être à l’origine de cette attaque dont l’objectif était d’éliminer sa personne. Mais quelques heures plus tard, le Procureur de la République d’alors, Robert Bakaï, surgit à la TVT, arracha une ancienne veste accrochée dans un bureau de la TVT et bondit sur le plateau en annonçant que les forces de l’ordre avaient tenté d’appréhender le frère du président togolais parce que soupçonné de vouloir porter atteinte à la sûreté de l’Etat. La suite est connue de tous avec ces histoires de clé USB où se serait trouvé le plan de déstabilisation du pays.

Dans l’affaire des incendies des marchés de Kara et de Lomé en janvier 2013, il y a eu les mêmes scénarios rocambolesques pour décapiter le Collectif Sauvons le Togo (CST) qui donnait de l’insomnie à Faure Gnassingbé. Le Général Yark Damehame avait présenté à l’époque comme corps du délit : un bidon bleu d’essence de 5 litres et une boîte d’allumette avant d’ajouter que les auteurs des incendies avaient eu recours aux procédés mystiques en disparaissant depuis le cimetière de Bè-Kamalodo.

Il y a un an, plus précisément le 03 décembre 2019, le DG de la Police nationale, le Colonel Yaovi Okpaoul avait présenté devant le monde entier des gourdins, des machettes, des frondes, des talismans, des amulettes et des couteaux avec lesquels des personnes interpellées auraient tenté dans la nuit du 22 au 23 novembre 2019 d’agresser les forces de sécurité et de déstabiliser les institutions de la République. « L’enquête nous a permis à ce jour et après perquisitions d’interpeller 28 individus du groupe Tigre Révolution », avait déclaré le DG de la Police qui avait ajouté que « Dans leur tentative, ils ont emporté, cinq Kalachnikovs dont une qui a été retrouvée dans le caniveau ». Mais depuis, personne n’a plus parlé des quatre autres Kalachnikovs. Pendant ce temps, ces pauvres citoyens croupissent dans les geôles de la dictature.

De tout ce qui précède, les Togolais attendent de voir jusqu’où Faure Gnassingbé et sa justice iront dans cette énième affaire d’« atteinte à la sécurité intérieure de l’Etat » dans laquelle ils ont embarqué ces deux acteurs de la DMK. Mais déjà, la pression s’intensifie sur le capteur du 4ème mandat qui promeut les femmes qui regardent dans sa direction et persécute celle qui lutte pour un Togo libre et prospère.

S. A.

Source : Liberté

Tu pourrais aussi aimer

Laisser un commentaire

Plus dans:Opinions