L’évolution enregistrée dans les relations entre la France et le Togo à l’occasion de la visite en France de Faure Gnassingbé le 15 novembre, permet de décrypter les ressorts qui sous-tendent les véritables motivations de la France à l’égard de l’Afrique.

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RELATIONS FRANCE-AFRIQUE : ENTRE « REALISME » ET BONNES INTENTIONS… !

Depuis l’arrivée de François Hollande à l’Elysée, l’action politique tend à traduire dans les faits la doctrine prônée à Dakar le 12 octobre 2012 devant l’Assemblée Nationale, sans cesse réaffirmée depuis : « Le futur de l’Afrique se bâtira par le renforcement de la capacité des Africains à gérer eux-mêmes les crises africaines ». [2] Les africains n’ont guère eu le temps de renforcer leurs capacités. La crise au Mali et l’intervention massive de troupes françaises (appuyées par quelques troupes supplétives africaines, dont 700 éléments des Forces Armées Togolaises) a exacerbé les contradictions et rappelé que la réalité des capacités africaines s’accorde difficilement avec les bonnes intentions affirmées à Dakar.

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À Dakar, François Hollande n’a pas parlé que de sécurité. Il a évoqué sans détours la question des relations économiques entre la France et le continent. Il affirmait en évoquant les capacités économiques de l’Afrique : « Elle est aussi une terre d’avenir pour l’économie mondiale. Il y a en Afrique un potentiel exceptionnel…». Une manière de rappeler implicitement la place des intérêts français en Afrique et aux entreprises françaises actives sur le continent qu’elles n’avaient rien à craindre d’une « rupture » pourtant annoncée.
C’est semble-t-il dans cet esprit qu’est organisé le mercredi 4 décembre, avant le « Sommet de l’Elysée », le forum économique consacré aux partenariats entre entreprises africaines et françaises, co-organisé par Bercy et le Medef sur le thème « Pour un nouveau modèle de partenariat économique entre l’Afrique et la France ».

ENJEU DES RELATIONS FRANCE-TOGO : FAUSSE RUPTURE…VRAIE CONTINUITÉ… !

Dès le mois de mai, avant que François Hollande ne se rende symboliquement à Dakar, pour prononcer un discours doctrinal, destiné à affranchir la France des assertions polémiques et très controversées du discours prononcé à l’Université de Dakar le 26 juillet 2007 par son prédécesseur Nicolas Sarkozy, plusieurs émissaires africains se sont rendus à Paris pour rencontrer les conseillers de François Hollande de la cellule diplomatique de l’Elysée.

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Au rang de ces émissaires, l’actuel Ministre des Affaires Etrangères du Togo, Robert Dussey – à l’époque conseiller diplomatique de Faure Gnassingbé – rencontrait la diplomate Hélène Le Gal, conseillère auprès du conseiller diplomatique du chef de l’État, Paul Jean-Ortiz, pour plaider semble-t-il la continuité dans la relation franco-togolaise. De gros intérêts économiques français sont en jeu au Togo. Faure Gnassingbé, durant la présidence de Nicolas Sarkozy n’a pas opposé de résistance aux pressions de ce dernier sur le dossier de l’attribution du Port autonome de Lomé – véritable poumon économique du Togo – en faveur du groupe Bolloré dans des conditions pour le moins cavalières : « Mais le changement brusque de Faure Gnassingbé en 2005 pour attribuer à Vincent Bolloré, l’essentiel des actifs de Jacques Dupuydauby n’augure pas d’un futur paisible de la gestion du PAL dans le cadre d’une alternance mouvementée (coup d’Etat) ou pacifique (vérités des urnes lors des élections présidentielles de 2015).»

Ainsi, l’« ambassade » de Robert Dussey dès le 25 mai 2012, semble indiquer que Faure Gnassingbé, manquait sérieusement de lisibilité sur les dispositions du nouveau président français à son égard à l’arrivée de François Hollande à l’Elysée.

EFFACEMENT DE LA DEMOCRATIE DERRIERE LES ENJEUX ECONOMIQUES.

La gestion du dossier de la gestion du Port de Lomé n’a pas fini d’alimenter les chroniques judiciaires dans les médias si l’on se réfère aux procédures judiciaires toujours en cours. [7] Nonobstant l’évolution d’un dossier judiciaire loin d’être clos et qui pourrait réserver des surprises – dont il est impensable qu’il ne soit pas informé par ses conseillers – François Hollande, a déclaré sur le perron de l’Elysée lors de la visite de Faure Gnassingbé : « Nous avons aussi une coopération économique qui a été encore renforcée ces dernières heures, notamment par rapport au port de Lomé. L’Agence française de développement joue tout son rôle ; les entreprises françaises répondent à des appels d’offre qui peuvent leur être lancés… »

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Le Président de la République française, François Hollande, revendique ainsi à son tour le rôle de VRP de luxe des entreprises françaises en Afrique et ailleurs dans le monde. Dans l’esprit de François Hollande, tout irait donc à nouveau pour le mieux dans le meilleur des mondes « franco-togolais », à partir du moment où quelques intérêts privés français en tirent profit. C’est sans doute pourquoi il s’est encore permis d’accorder un satisfecit à Faure Gnassingbé en matière de gouvernance politique : « Je veux terminer en disant combien je porte un grand prix à la démocratie, aux élections en Afrique – quels que soient, d’ailleurs, les pays – et combien il est important qu’il y ait – c’était le cas d’ailleurs au Togo – des élections qui soient pluralistes et qui permettent ensuite la réconciliation et le travail en commun.»

Les citoyens togolais privés d’alternance politique, en raison des fraudes systématiques organisées lors de chaque élection, par le clan Gnassingbé et le parti au pouvoir depuis plus de quarante ans (RPT – UNIR) « apprécient » cette déclaration en connaissance de cause.

POIGNANT, BOLLORE, DEBBASCH, ET LE RETOUR EN GRÂCE DE FAURE GNASSINGBE.

En réalité, les raisons de ce qui ressemble à un revirement, ont des origines lointaines. Elles tiennent à l’influence prégnante de Bernard Poignant, conseiller « très » spécial, auprès de François Hollande. Une relation entre les deux hommes qui remontre à 1984.[10] Mais Bernard Poignant n’est pas que l’ami et le conseiller de François Hollande. Il est aussi depuis 1981, l’« ami fidèle » de Vincent Bolloré avec lequel il entretient les meilleures relations depuis trente-deux ans.

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C’est Bernard Poignant qui va organiser la première rencontre entre Vincent Bolloré et François Hollande, premier secrétaire du PS, le 8 mars 2007, peu de temps avant l’élection présidentielle qui verra finalement Nicolas Sarkozy accéder à la présidence de la République. Une manière pour Vincent Bolloré d’avoir deux fers au feu en quelque sorte. Nous ne saurons jamais si Ségolène Royal aurait été invitée sur le « Paloma », Yacht de Vincent Bolloré, au lendemain de l’élection présidentielle comme n’hésita pas à s’y rendre Nicolas Sarkozy nouvellement élu Président.

C’est au cours du sommet de Lisbonne des 8 et 9 décembre 2007 consacré au Partenariat entre l’Afrique et l’Union Européenne, qu’a lieu la première rencontre entre Nicolas Sarkozy et Faure Gnassingbé. Selon les notes diplomatiques, il n’aurait été question que de macro-économie, de dettes et de… Charles Debbasch, qualifié par M. Sarkozy de « mercenaire » appartenant à une « époque révolue ». Le Ministère des Affaires étrangères affirmant n’avoir « reçu aucune instruction à ce sujet, (…) nous ne sommes soumis à aucun diktat ». Mais l’entourage proche des deux présidents s’accorde pour reconnaitre que sera opérée à cette occasion une amicale pression sur Faure Gnassingbé pour venir en aide aux « amis ».

De cette manière s’installe le mauvais mélange des genres dans lequel les gouvernances politique et économique se confondent autant que les intérêts personnels. En effet, après que le Groupe Bolloré se soit à nouveau installé sur le port de Lomé dans les sociétés S2M et S3M reprises au Groupe Progosa, on verra arriver à Lomé au sein de la direction des deux entreprises, Jacques Poignant, qui n’est autre que le fils de Bernard Poignant, conseiller de François Hollande et ami de trente-deux ans de Vincent Bolloré.

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Lequel Jacques Poignant évoluera à Lomé, sous l’aile bienveillante d’un certain Charles Debbasch, ministre conseiller de Faure Gnassingbé que Nicolas Sarkozy qualifiait en 2007 de « ‘mercenaire’ appartenant à une ‘époque révolue’ ». Sans doute parce que Charles Debbasch condamné à deux ans de prison le 11 mai 2005 puis définitivement le 14 décembre 2005 à la suite du rejet de son pourvoi en cassation, pour détournement d’œuvres dans le cadre de la succession du peintre Victor Vasarely, faisait l’objet d’un mandat d’arrêt international émis par la France.

Mais par la suite Nicolas Sarkozy s’accommodera du fait que Faure Gnassingbé a maintenu Charles Debbasch dans ses fonctions auprès de lui jusqu’en 2012, autant que François Hollande. C’est Charles Debbasch qui entremettra Jacques Poignant auprès de Faure Gnassingbé. Sans doute pour entretenir les meilleures relations avec le Groupe Bolloré qui annonçait en 2011 réaliser un investissement de 300 milliards de francs CFA vis (45 734 705 171 €) visant à tripler les capacités d’accueil du Port de Lomé.

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C’est ainsi que Jacques Poignant a pu convaincre son père, Bernard Poignant que tout allait pour le mieux au Togo, les intérêts du groupe Bolloré auquel lui-même appartenait étant florissants. Bernard Poignant a pu convaincre François Hollande qu’il était de l’intérêt de la France d’être conciliant avec Faure Gnassingbé. Des sources bien informées précisent même que Bernard Poignant serait intervenu pour tenter de solutionner le cas épineux du mandat arrêt qui frappe Charles Debbasch.

Mais apparemment ce dernier ne faisait pas partie des personnalités qui accompagnaient Faure Gnassingbé à Lorient et à Paris le 15 novembre 2013. C’est Bernard Poignant qui a organisé avec Vincent Bolloré la visite de Faure Gnassingbé à Lorient.

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Par ailleurs Faure Gnassingbé n’a pas été reçu seul en tête à tête par François Hollande. Au cours de leurs entretiens François Hollande était accompagné de trois conseillers.
Au-delà de la couleur politique des locataires du Palais de l’Elysée, le cas du Togo illustre bien que les « françafricains » ont encore de beaux jours devant eux. Il est même surprenant que François Hollande, pour le cas du Togo, ait préféré suivre les recommandations de son Conseiller Bernard Poignant, plutôt que celles de son Conseiller diplomatique Paul Jean-Ortiz, et de sa conseillère Hélène Le Gal, lesquels auraient été très surpris par les propos tenus par François Hollande dans la déclaration conjointe.

Cela aurait peut-être évité à François Hollande de prononcer le 15 novembre une contre-vérité flagrante dans sa Déclaration conjointe avec Faure Gnassingbé, dans la mesure où malgré les allégations de son Conseiller, de Vincent Bolloré ou de Faure Gnassingbé, le Togo souffre en premier lieu d’un déficit démocratique très profond, lequel est la première cause de la souffrance que les togolais endurent depuis quarante-deux ans.

Note: Cet article a été publié pour la première fois en décembre 2015 sur le blog de Médiapart

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