Dans le cadre de l’élection présidentielle qui est prévue pour se tenir le 22 février 2020 au Togo, la Radio France Internationale (Rfi) accorde un temps d’antenne aux candidats qui aspirent de briguer la magistrature suprême du pays, afin de leur permettre de dire leurs motivations et leur vision pour le poste attendu.

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Dans cet exercice bien entendu, le candidat a le choix d’être interviewer lui-même ou de le faire par l’intermédiaire de son mandataire ; quand bien même le peuple togolais aurait bien voulu entendre les candidats en personne, et ce serait plus vivant.

Ce mardi, 04 février 2020, ce fut le tour du candidat de Union pour la République (UNIR), monsieur Faure Essozimna Gnassingbé, président sortant et candidat à sa propre succession. Il a choisi, pour des raisons qui lui sont propres, de mandater son ministre des Droits de l’Homme, chargé des Relations avec les Institutions de la République, monsieur Christian Trimua, pour cet exercice à « haut risque », mais d’un importance capitale.

Reçu donc ce matin au micro du journaliste Laurent Correau, rédacteur en chef Rfi-Afrique, l’avocat-ministre des Droits de l’Homme a fait preuve d’une oisiveté implacable sur « le sens de cette candidature ? Comment le camp politique de son candidat reçoit-il les appels à la transparence du scrutin ou à une alternance après 53 ans de pouvoir de la famille Eyadéma ? (Sic. Gnassingbé) »

D’entrée de jeu, le ministre Trimua reconnaît une gestion chaotique et calamiteuse de feu Général Eyadéma. Ainsi à la question de savoir pourquoi une nouvelle candidature du président Faure Gnassingbé, après quinze ans de pouvoir, il répond :

« Lorsque le président de la République a accédé au pouvoir au Togo, en 2005, il a hérité d’un pays socialement délabré, économiquement exsangue et politiquement divisé ».

Ici, les mots et leurs adjectifs qualificatifs sont très bien choisis et parlent d’eux-mêmes : une société délabrée c’est-à-dire cassée, abîmée, détériorée ; une économie exsangue c’est-à-dire blanche, nulle, blafarde, pâle, complètement essoufflée ; et des adversaires politiques divisés.

C’est malheureusement dans cet état piteux que le père de l’actuel président du Togo a effectivement laissé le pays le 05 février 2005.

Mais qu’y a-t-il eu de changement dans tout ça et que le ministre-confrère tente de venter à l’opinion nationale et internationale ?

Le ministre des droits de l’homme répond sans grande conviction que le président Faure aurait, progressivement, reconstruit politiquement le pays ! Ce discours peut être servi à un bébé qui vient de naître sur un sol étranger, mais pas à un Togolais.

Et pour cause, même le premier acte politique qui a consacré la venue du président Faure au pouvoir en 2005 est un triple coup d’Etat constitutionnel, institutionnel, électoral et un acte politique de division de sa propre famille politique : l’on se rappelle le refus fait au président de l’Assemblée nationale d’alors, monsieur Fambaré Ouattara Natchaba de rentrer au pays, alors que constitutionnellement, il lui revenait d’assurer l’intérim à la présidence de la République. Pour simple rappel des faits que nul n’ignore d’ailleurs, monsieur Fambaré Ouattara Natchaba n’étant pas à Lomé, mais dans un avion d’Air France qui le ramenait dans son pays, toutes les frontières du Togo ont été fermées, et l’appareil a été dérouté sur Cotonou, au Bénin : le président par intérim s’est ainsi retrouvé de facto exclu de la succession et du jeu politique. L’armée, sous la conduite du général Zakari Nandja, dit avoir constaté « la vacance totale du pouvoir » du fait que le président de l’Assemblée nationale soit « absent du territoire national ». C’était le début du scénario et du mélodrame que nous connaissons jusqu’ici !

Pour tenter de légitimer ce coup d’Etat auquel les 72 (sur 81) députés du Rassemblement du Peuple Togolais (RPT) avaient déjà conféré une apparence légale, une élection présidentielle a été organisée de manière opaque en avril 2005 et les contestataires en feront rudement les frais : plus de cinq cents (500) morts selon le rapport de la mission onusienne de vérification et d’établissement des faits. Le ministre de l’intérieur d’alors, monsieur François Akila-Esso Boko, qui avait prédit ces tristes et malheureux évènement en signe de prévention, a été exfiltré du pays sous haute sécurité étrangère et contraint depuis lors à l’exil. Sa volonté affichée en 2019 de retourner dans son pays natal lui a été refusée par les autorités togolaises.

Et c’est cela, selon notre ministre des Droits de l’Homme, un début de reconstruction politique du pays ?

Et la cabale politico-judiciaire s’est installée, au point où on peut affirmer, sans risque de se contredire, qu’elle a été érigée en système et mode de gouvernance. En 2009 déjà, la lugubre affaire de tentative d’atteinte contre la sûreté intérieure de l’Etat viendra accentuer la pollution de l’atmosphère politique et le déchirement des tissus de la famille politique et biologique de votre mandant, le président Faure Gnassingbé. Dans le lot des personnes embastillées, les noms de deux des hautes personnalités qui lui avaient fait allégeance dans la nuit du 05 février 2005, et qui ont contribué à asseoir son règne reviennent souvent et sonnent fort : son demi-frère Kpatcha Gnassingbé, encore en prison malgré les nombreuses décisions des instances internationales intervenues en sa faveur, et le général Assani Tidjana (qu’il repose en paix).

L’autre affaire, non moins ténébreuse elle, qui polluera complètement l’environnement politique est celle abusivement qualifiée d’escroquerie internationale : l’homme d’affaire Agba-Sow Bertin Abalo en a fait les frais avant d’être contraint à l’exil, et l’ancien bras-droit de votre mandant, son ancien directeur de Cabinet, ancien ministre de l’administration territoriale, des collectivités locales et de la Décentralisation, porte-parole du gouvernement, l’homme-à-tout-faire, est tombé en disgrâce. Tous considérés comme des adversaires politiques potentiels de taille, les deux ont fait la prison la plus surpeuplée du Togo à l’époque des faits : la prison civile de Tsévié. Je voudrais bien partager avec nous, intellectuels togolais, et en fin d’analyses, monsieur le ministre des droits de l’homme et cher confrère, un texte que je trouve très adapté à pareille circonstance.

A cerner au mieux vos propos, le drame de l’incendie des marchés de Kara et de Lomé constitue aussi une construction progressive de la vie sociale et politique de votre gouvernance, puisqu’aujourd’hui, avec le retournement de situation né des dernières révélations de l’acteur principal de cette « mise en scène », le nommé Mohamed Loum, il est clair que des personnes au sein de la hiérarchie civile et militaire proche du pouvoir de votre mandant dont vous défendez le bilan, y sont impliquées, mais que la justice reste encore muette et impuissante.

L’objectif réel de ce « film hollywoodien », vous le saviez, était la décapitation du Collectif « Sauvons le Togo », la « mise sous éteignoir » de ses responsables, afin d’anéantir les adversaires politiques et assouvir la soif de conservation du pouvoir.

Vous-même, me semble-t-il, avez été la cible de cette cabale politico-judiciaire dans l’affaire dite de « tueries de jeunes filles » ; et Seule La Providence sait comment vous vous êtes tirés d’affaire ; peut-être avez-vous eu besoin des sollicitudes de la Ligue Togolaise des Droits de l’Homme (LTDH) que vous avez tout récemment menacée de fermeture, parce que simplement, cette même ligue a dénoncé des cas de violations des droits dont vos semblables sont victimes.

Quant aux réformes constitutionnelles et institutionnelles dont vous tentez de vous en convaincre, elles sont non seulement bien imparfaites et bien incomplètes, mais encore elles ont été obtenues de hautes luttes, allant jusqu’aux sacrifices suprêmes ; des vies humaines y ont été fauchées, la personne humaine fortement violentée, des libertés bafouées et emprisonnées, la liste est longue sur les méfaits de la dictature conduite par votre mandant. Ces réformes n’ont jamais été le fruit d’une réelle volonté politique de votre gouvernance.

Le comble, monsieur le ministre des droits de l’homme, ce sont ces enfants mineurs martyrs dont l’ébullition du front socio-politique a emporté dans la fleur de l’âge, et devant la mémoire desquels je voudrais, en toute humilité, m’incliner : Anselme Sinandare Gouyano, Douti Sinalingue, Idrissou Moufidou, Abdel Aziz Zato, Kokou Joseph Zoumekey, Hastou Ouro-Kefia, Yacoubou Abdoulaye, Rachad Mamah Agrigna que votre pseudo « reconstruction politique » n’a su épargner.

Et quand le journaliste Laurent Correau a objecté que « vous parlez comme s’il (votre mandant) était déjà élu », parce que vous dites que le mandat qui commence en 2020 est un mandat de consolidation, vous avez répondu :

« C’est la conviction du militant et de l’électeur togolais. Nous mesurons également ce que notre population souhaite. Le parti UNIR [Union pour la République] a fait le tour du Togo et nous avons la ferme conviction que le président Faure est le choix des Togolais pour le 22 février 2020 ».

Quelle préparation des esprits à accepter le coup de force en cours de perpétration ! Vous parliez de quelle population ; celle martyrisée par votre gouvernance, celle que vous avez réduite à la portion congrue, à la mendicité, celle que vous avez sue empêtrer dans l’ignorance et la précarité pour pouvoir en faire votre « bétail électoral » le moment venu, comme votre mandant a commencé bien à le faire en allant de terrain de football des jeunes au rizières des paysans, et des rizières aux rivières des pêcheurs !

Mais êtes-vous vraiment sûr que votre candidat est ou sera le choix des Togolais le 22 février 2020 ? NON ! NON et NON, monsieur le ministre. Mais de quelles tournées parlez-vous ? Celles de la Commission de réflexion sur les réformes politiques dite « Commission Awa Nana » en 2017 ? Avez-vous vu le déferlement de cette population en 2017 dans les rues, à l’intérieur du pays sur le territoire national, et dans la diaspora ? Avez-vous un seul instant prêté attention aux cris de cette population et à sa soif à l’alternance ! Cette population que vous méprisez, réprimez, torturez, bâillonnez, affamez, emprisonnez, tuez ! Et qu’est-ce qui aurait changé depuis 2017 à nos jours pour que brusquement et subitement, votre candidat redevienne le « choix des Togolais ».

Vous savez que vous n’avez jamais compté sur ce peuple pour remporter vos élections. Car, tout comme vous êtes arrivés dans la nuit du 05 février 2005, vous avez les mêmes moyens, je dirais le mêmes méthodes. Et vous en êtes conscients, et tout le monde le sait.

D’ailleurs, vous êtes tellement imbus et coutumiers de ces méthodes que sur une chaîne télévision internationale, Africa 24 en septembre 2017 si mes souvenirs sont bons, vous n’avez pu vous retenir et avez lâché au grand dam du monde entier à l’endroit de l’opposition togolaise : « Alors prenez les armes et faites ce que vous voulez ». Cela traduit clairement ce que vous voulez pour ce pays, en obstruant le schéma électoral comme moyen de conquête, d’exercice et de dévolution du pouvoir politique.

Vous n’avez jamais compté sur ce peuple ; et voilà pourquoi vous ne voulez pas que les résultats de son vote fassent l’objet de publication bureaux de vote par bureaux de vote. Et pour esquiver cette préoccupation si chère au peuple togolais pour l’utilité de son vote, si chère même à nos partenaires de l’Union européenne dont les missions d’observations électorales n’ont de cesse recommandé, dans leurs différents rapports, depuis 2005, la publication des résultats de vote bureaux de vote par bureaux de vote, vous avez tenté de vous passer pour des légalistes, respectueux des textes et du code électoral. Cela fait juste sourire.

Jusqu’à quelle période êtes-vous restés légalistes ! L’étiez-vous encore jusqu’à la date du 30 décembre 2019 où vous créiez une Cour Constitutionnelle de sept (07) membres au lieu de neuf (09) comme le prévoit la Constitution, la Loi Fondamentale dont vous êtes le défenseur et le garant ? Et la question des manifestations, qu’en dites-vous ? Que faites-vous des recommandations du 11 septembre 2019 du Rapporteur Spécial des Nations unies sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression et ses autres collègues ? Je n’aimerais pas trop avancer là-dessus pour mieux me faire comprendre par mes lecteurs.

Sur la question de la corruption également, je passe la main parce que les Togolais ne sont pas dupes. Dites-nous simplement où sont passés les 628 millions lors de la gestion des comptes de la CAN 2013 et autres, ainsi que les fonds destinés à la réhabilitation du tronçon Lomé-Vogan. La liste est longue…

Sur la question cruciale de l’alternance, vous vous êtes juste moqué du peuple togolais que vous considérez péjorativement comme votre « arbitre suprême », en répondant tout aussi péjorativement que « le président de la République Faure Gnassingbé est le seul qui a créé, aujourd’hui, les conditions de l’alternance au Togo. Il a organisé les élections locales qui n’existaient plus depuis trente-deux ans au Togo et donc la démocratie à la base. Il a limité le mandat intégral au Togo dans toutes les institutions. Le président de la République est limité, l’Assemblée nationale, le Sénat et toutes les institutions de la République sont limitées, y compris le mandat des collectivités locales ».

L’alternance, vous le savez, ne se borne pas à la limitation théorique du pouvoir dans les textes. L’alternance politique se produit lorsque des partis appartenant à des courants politiques différents se succèdent au pouvoir.

Monsieur le ministre, quelle est la meilleure manière, pour un président qui, après avoir fait trois mandats (15 ans) à la tête de son pays, surtout dans les conditions que vous et nous n’ignorons, après avoir déclaré publiquement et officiellement sur les antennes de la Deutche Welle que « pour que la démocratie progresse en Afrique, il faut nécessairement limiter les mandats à deux ou à trois », de créer les conditions d’une alternance politique : se retirer ou se représenter ?

Pour vous donc, la monopolisation de l’espace public par votre seul parti depuis plus de 50 années, le mépris et le bâillonnement des autres partis politiques, sont des conditions « meilleurs » pour l’alternance !

Chose curieuse ! Vous n’êtes pas arrivé là où on vous attendrait le plus !

Dans la défense de votre bilan, vous avez accepté de laisser une véritable page blanche sur la question des droits de l’homme qui constitue en réalité le domaine de prédilection de votre « portefeuille » ministériel ; puisque vous êtes ministre des droits de l’homme. Est-ce une démission ?

Cette démission, si s’en est une, c’était déjà en juillet 2019 à Genève en Suisse où, lors de la 67ème Session ordinaire du Comité des Nations unies contre la torture tenue dans le cadre de l’Examen Périodique Universel (EPU), et alors que vous conduisiez la délégation togolaise à cet effet, vous avez presque aplati et succombé devant le réquisitoire de monsieur Sébastien Touze, Rapporteur sur le Togo audit Comité, réquisitoire qui a conduit à vous recommander la fermeture de la prison civile de Lomé.

Dans notre jargon au barreau, vous etes l’avocat qui a plaidé « corps présent », et parce que n’étant pas convaincu vous-même, vous n’avez pu convaincre !

Votre bilan mérite juste un vote-sanction. Laissez le peuple togolais s’exprimer librement le 22 février 2020 et créer plus de transparence dans la transmission et la centralisation des résultats de son vote et donnons-nous rendez-vous au soir du 22 février !

Ce que je voudrais humblement partager avec nous, intellectuels togolais, est cette pensée du journaliste d’investigations burkinabé, Norbert Zongo (qu’il repose en paix) :

« En Afrique, la compromission des peuples s’effectue à 3 niveaux

Le 1er niveau (qui nous intéresse)

Est constitué d’intellectuels opportunistes qui se servent de leurs connaissances livresques pour aider les dictateurs à donner un contour idéologique et politique à leur tyrannie… Le tyran peut voler, tuer, emprisonner, torturer… il sera défendu, intellectuellement réhabilité par des « cerveaux » au nom de leurs propres intérêts. Résultat : la plupart de ces intellectuels finissent par s’exiler, ou sont froidement exécutés ou « se suicident » en prison. Les plus heureux sont ceux qui sont dépouillés de leurs biens et de leurs privilèges avant d’être jetés en pâture au peuple… Un tyran n’a pas d’amis éternels ».

Œuvrons tous à la création des conditions pour un vivre ensemble et harmonieux entre les filles et fils d’une même Nation, notre Togo, l’Or de l’humanité, avec et dans des institutions justes ; tel est notre souhait !

Confraternellement, avec respects et considération,

Me Raphaël N. Kpande-Adzare

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