Depuis le 5 juin 2020, les maliens sont dans la rue. Ils réclament la démission du Président, Ibrahim Boubacar Keïta au pouvoir depuis 2013. Cette crise sociopolitique découle d’un immobilisme politique présent au Mali depuis quelques années.

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Un manque de volonté, une incapacité à agir concrètement pour transformer le pays qu’on retrouve dans un autre pays de la sous-région ouest africaine, le Togo. D’août 2017 à décembre 2018, le Togo était dans une situation similaire jusqu’à ce que « le syndicat » des Chefs d’Etat de la Cedeao ne vienne au secours de Faure Gnassingbé.

Au commencement

Elu une première fois en 2013 et confirmé à la tête du pays en 2018, le président Ibrahim Boubacar Keïta, dit IBK, fait face à un mouvement de contestation accru depuis les législatives de mars et avril dernier.

Après un scrutin marqué par l’enlèvement du principal opposant au président, Soumaïla Cissé, mais aussi des enlèvements d’agents électoraux, l’intimidation d’électeurs et un taux de participation en chute libre, la Cour constitutionnelle a invalidé à la fin du mois d’avril une trentaine de résultats proclamés par la commission electorale en faveur du parti du président.

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La réaction a été immédiate. Dans le courant du mois de mai, des adversaires d’IBK ont noué une alliance inédite autour de Mahmoud Dicko, un imam influent et respecté. Ensemble, ils ont lancé un appel à se rassembler dans la rue une première fois le 5 juin et se sont baptisés « M5-RFP »pour « Mouvement du 5 juin – Rassemblement des forces patriotiques ».

Le M5-RFP réclame la dissolution du Parlement malien, la formation d’un gouvernement de transition dont il désignerait le Premier ministre, ainsi que le remplacement des neuf membres de la Cour constitutionnelle, accusée de collusion avec le pouvoir. Après les premières manifestations sans heurt, les contestataires ont durci le ton en demandant le départ du Président IBK à la suite d’une répression sanglante qui fait plusieurs morts. Depuis, la majorité présidentielle aligne les propositions mais les responsables du M5-RFP campent sur leurs positions.

La CEDEAO en échec….

Jeudi 23 juillet 2020, une mission de cinq Chefs d’État ouest-africains dirigée par le président en exercice de la CEDEAO Mahamadou Issoufou a tenté une médiation. Mais elle a échoué.

En effet, dès sa sortie d’audience avec la délégation de la Cedeao, l’Imam Mahmoud Dicko, qui fait office de porte-parole du M5-RFP a indiqué que « les lignes n’ont pas bougé ». Les membres du mouvement n’ont pas refusé de dialoguer, a-t-il encore précisé, mais, martèle-t-il, « nul ne peut venir leur imposer ses solutions ».

Le parrain du mouvement du 5 juin a exprimé son insatisfaction des recommandations faites par la délégation des chefs d’État africains. Selon la personnalité morale du M5-RFP, « il est hors de question de se laisser gouverner par ceux qui ont été à l’origine des assassinats et des tirs à balles réelles survenus les 10, 11 et 12 juillet 2020 ». À l’en croire, le peuple malien n’est pas un peuple résigné « mais un peuple debout ».

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Face à la détermination des leaders de la contestation, les missionnaires de la Cedeao  ont rebroussé chemin. Dans l’immédiat une conférence des Chefs d’Etat de la Cedeao a été convoquée.

Lundi dernier, les 15 chefs d’État de la Communauté des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao), à l’issue de ce sommet virtuel, ont prévu un régime de sanctions « contre ceux qui poseront des actes contraires au processus de normalisation » au Mali, à mettre en œuvre avant vendredi prochain, a déclaré en conclusion des travaux le président en exercice de l’organisation régionale, le chef de l’État nigérien Mahamadou Issoufou. Le plan de la Cedeao prévoit notamment le maintien au pouvoir d’IBK, mais prône la constitution rapide d’un gouvernement d’union nationale et des élections législatives partielles. Des propositions une fois encore rejetées par le M5 RFP.

Du Togo au Mali….

Cette crise malienne et la médiation en cours ressemblent fortement à celle que le Togo a connue entre août 2017 et novembre 2018. A l’époque, de nombreuses manifestations ont eu lieu afin de réclamer le départ de Faure Gnassingbé. En plus du droit de vote des Togolais de la diaspora, les manifestants exigeaient une réforme constitutionnelle pour limiter à deux le nombre de mandats présidentiels, appliquée de façon rétroactive. Dos au mur, le gouvernement togolais a fait appel à la Cedeao pour jouer aux médiateurs.

Dès leur arrivée au Togo, les facilitateurs ont, par différents astuces et du dilatoire, brisé la dynamique de contestation. Les manifestations ont été arrêtées. La classe opposante venait ainsi  de laisser tomber sa seule arme de pression. Par la suite, la lassitude et les affaires de corruptions impliquant les leaders de l’opposition ont fini par avoir raison de la détermination des togolais. 

Au terme de leur médiation, les facilitateurs de la crise avaient proposé une feuille de route floue dans laquelle les revendications des contestataires ont été noyées. D’ailleurs, le pouvoir de Lomé utilisera celle-ci comme argument pour arriver à ses fins. Avec une réforme constitutionnelle taillée sur mesure pour non seulement permettre à Faure Gnassingbé de se maintenir au pouvoir mais aussi de briguer un nouveau mandat et de lui donner la possibilité de se présenter à l’élection présentielle de 2025.

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Croyant que la recette utilisée au Togo est universelle, les Chefs d’Etat de la Cedeao se sont dépêchés au Mali pour, cette fois, sauver IBK. Comme solution de sortie de crise, ils recommandent la démission des 31 députés dont l’élection est contestée, la formation d’un gouvernement d’union nationale et la nomination de nouveaux magistrats à la Cour constitutionnelle.

Pour la Cedeao, il n’est donc pas question que le Président  malien démissionne. Pour justifier sa position, elle se cache derrière le respect des  principes démocratiques qui ont vu élire IBK à deux reprises. Dès lors la question se pose de savoir pourquoi la Cedeao ne s’était prononcée contre le départ par la rue de Blaise Compaoré en 2014. Aussi, le peuple malien n’est-il pas libre de retirer le pouvoir aux dirigeants qu’il juge incapables d’accomplir ses désirs.

Une leçon pour l’opposition togolaise

Juste après la fin du sommet de la Cedeao, dans un communiqué, les opposants maliens  ont indiqué qu’ils ne baisseraient pas les bras. Ils exigent plus que jamais la démission d’IBK. D’ailleurs, ils appellent à une nouvelle désobéissance civile. Les menaces de sanctions de la Cedeao n’ont donc pas eu d’effet.

Preuve d’une détermination sans faille. Chose qui a cruellement manqué à l’opposition togolaise en 2017 qui a, fait preuve de naïveté. Une opposition qui a vite abandonné les manifestations au profit des discussions sans fond.

L’autre leçon du M5 à l’opposition togolaise est celle de la probité morale incarnée par l’Imam Dicko. Depuis le debut de cette crise, malgré les propositions alléchantes, les membres du mouvement sont restés fermes. Au Togo, en 2017, plusieurs affaires de dessous de table ont éclaboussé les leaders de l’opposition regroupés au sein de la Coalition des 14 partis politiques de l’opposition (C14).

In fine, la Cedeao qui est accusée depuis quelques temps d’être un « syndicat de chefs d’Etat » qui se soutiennent et se protègent mutuellement, est en train de donner raison à ses détracteurs. Pire encore, la plupart des Chefs d’Etat en pole position dans la médiation au Mali ne sont pas tous des exemples de bonne gouvernance et de lutte contre la corruption. Deux fléaux contre lesquels le peuple malien est vent debout.

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Au-delà, les chefs d’Etat de la sous-région doivent désormais comprendre que la formation d’un gouvernement d’union nationale comme solution «universelle» à toutes les crises est dépassée. Il faut donc proposer de nouvelles alternatives crédibles qui s’alignent sur les aspirations des populations. Sur ce point, il semble que les maliens ont vite compris très tôt ce que les opposants togolais n’ont pas vu venir. 

D’ailleurs, ils n’ont pas mis beaucoup de temps pour rejeter les solutions de la Cedeao.

Fraternité

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