La Coalition de l’opposition se prépare à reprendre les manifestations de rue cette semaine. Seulement le pouvoir, toujours réfractaire aux mouvements de contestation, fait feu de tout bois pour les interdire. Mais l’opposition semble déterminée à aller au bout. Nathaniel Olympio, président du Parti des Togolais, nous a accordé une interview dans laquelle il est revenu sur la situation politique en général. Il lance un appel au peuple à reprendre son destin en main, mais aussi à l’institution militaire à qui il demande de protéger les populations.

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Liberté : Bonjour M. Nathaniel Olympio et merci d’avoir accepté de répondre à nos questions

Olympio : Je vous remercie également de votre démarche.

Comment se porte aujourd’hui le Parti des Togolais dont vous êtes le président ?

Le Parti des Togolais – comme vous le savez – demeure engagé dans la lutte pour la liberté et la démocratie au Togo. Il est très engagé, à ce jour, au sein de la Coalition des 14 partis de l’opposition ; très engagé également dans sa démarche propre de sensibilisation de la population togolaise.

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Depuis quelques semaines, nous tenons des formations tous les samedis autour de la Constitution de 1992 pour faire comprendre pourquoi les Togolais tiennent à cette Constitution et les arguments que le régime déploie pour justifier son refus de voir cette Constitution être rétablie. Nous sensibilisons les jeunes sur ces questions. Et c’est l’une des activités que le Parti des Togolais déroule actuellement.

Le Parti des Togolais, comme vous l’avez dit, fait partie de la C14 qui boucle près de 8 mois de vie commune. Des hauts et des bas… Comment se porte aujourd’hui cette coalition ?

La Coalition a beaucoup mûri et elle a beaucoup enraciné ses fondamentaux. Elle a également grandi de ses épreuves internes. Tout cela pour dire que chaque parti s’est ainsi consolidé intrinsèquement par cette Coalition pour faire face à l’adversité, pour faire face à l’arbitraire, pour faire face à l’injustice. Nous sommes dans une même perspective de poursuite de la lutte et nous partageons actuellement cette compréhension commune des objectifs à atteindre et des moyens d’y parvenir.

Vous aviez récemment effectué une tournée aux USA au nom de la Coalition des 14. Un petit bilan ?

La crise d’aujourd’hui n’est pas circonscrite à l’intérieur des frontières du Togo. La diaspora togolaise mène également une action très forte et il faut la féliciter et l’encourager. C’est le fruit du travail de la Diaspora qui a donné l’opportunité à la Coalition d’avoir une séance de travail avec le Département d’Etat américain où nous (le président Nicodème Habia du parti les Démocrates et moi-même) avons représenté la Coalition.

Lors de cette séance de travail, nous avons eu l’occasion d’expliquer les points de vue de la Coalition, les orientations que nous proposons au titre de solutions viables et je pense que l’attention des USA pour la crise au Togo est manifeste aujourd’hui. Je rappelle que les Etats-Unis avaient produit une déclaration en octobre 2017, lorsque le régime de Faure Gnassingbé avait fait sortir les milices pour « mater » les populations togolaises.

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Nous remercions les autorités américaines et nous saluons cette attention qui est portée aux combattants de la liberté et de la démocratie au Togo. C’est un réel encouragement. Il faut dire par ailleurs que la diaspora togolaise que nous avons rencontrée à New York et à Washington dans le Maryland et dans le Nebraska, ce sont des patriotes togolais très déterminés et engagés, œuvrant pour que la liberté et la démocratie deviennent une réalité au Togo.

Depuis le 19 février 2018 sous la houlette du Facilitateur, le président ghanéen Nana Akufo-Addo, les protagonistes de la crise ont démarré le dialogue qui a déjà connu deux suspensions. Les discussions achoppent sur le sort du Chef de l’Etat. Pourquoi voulez-vous coûte que coûte empêcher Faure Gnassingbé de se représenter pour un quatrième mandat en 2020 ?

Je crois que vous vous trompez de position sur ce que la Coalition attend. Notre position est claire. Elle s’aligne naturellement sur ce que le peuple togolais veut, c’est-à-dire le départ immédiat du chef de l’Etat. Nous ne sommes pas engagés dans des discussions du genre : «est-ce que tel sera candidat en 2020 ou non ?», puisque cela découlera indéniablement du respect des clauses de la Constitution dont nous réclamons la restauration.

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Ce qui nous préoccupe aujourd’hui, c’est comment produire les conditions adéquates à la mise en place d’une TRANSITION ; que nous puissions ainsi connaître l’alternance. C’est en effet à travers tout un processus de révision de nos institutions et de révision du cadre électoral que nous pouvons envisager d’aller vers des élections transparentes et reconnues de tous. Votre question n’a donc pas lieu d’être : nous maintenons, avec le soutien du peuple togolais, une pression dont la préoccupation première est la mise en place de ce cadre.

Entre la dernière suspension et maintenant, est-ce que les lignes ont un peu bougé ?

Ce que je peux dire est que nous avons compris très tôt que ce régime initiait ce dialogue en vue de distraire l’opinion publique, pour trouver encore une opportunité de faire du dilatoire. Il prouve une fois de plus que l’opposition peut bien vouloir s’inscrire dans une dynamique de dialogue tant voulu et demandé, ce qui importe à ce régime est exclusivement de faire tout ce qui lui est possible afin de se maintenir au pouvoir. Nous avons compris cela. Et nous ne sommes pas allés à ce dialogue dans un esprit de naïveté.

Nous avons simplement accepté une sollicitation du Facilitateur, en la personne du président Nana Akufo-Addo, qui nous a invités à venir discuter de notre plateforme de revendications. Refuser d’aller exposer ce que nous exigions dans cette configuration n’aurait pas été responsable, dans la mesure où nous sollicitions une prise de conscience internationale de la situation qui prévalait dans notre pays. Nous n’avons cependant en aucun cas perdu de vue le fait que nul dialogue n’a abouti au Togo, à ce jour, au changement radical attendu par le peuple togolais.

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Aujourd’hui, l’expérience prouve au moins que tout le monde – y compris la communauté internationale – réalise bel et bien que ce régime ne tient pas ses paroles, ne respecte pas ses engagements. Même dans le cadre de ce dialogue, les mesures d’apaisement qui ont été préconisées n’ont pas été respectées. Les villes de Mango, Sokodé et Bafilo sont toujours maintenues en état de siège où les militaires sont massivement présents dans les rues, créant des tensions inutiles avec les populations civiles.

On continue d’ailleurs d’arrêter des gens de façon totalement arbitraire et injustifiée. Les derniers évènements en date sont ceux impliquant le Professeur David Dosseh et M. Antoine Gnandjou du Front Citoyen Togo Debout, ainsi que le président du REJADD, M. Assiba Johnson. C’est également le cas avec la convocation du fils du professeur David Dosseh et du professeur Ihou de la Faculté des sciences de la santé de l’Université de Lomé.

Toutes ces mesures d’intimidations montrent que ce régime n’est pas dans la recherche de la solution pacifique à la crise togolaise. Finalement, tout le monde a pris conscience, avec nous, de son manque de volonté affiché et c’est en ce sens que nous poursuivons notre prise de responsabilités.

Vous êtes moins optimiste quant à l’aboutissement de ce dialogue.

J’ai toujours exprimé, à travers mes interventions dans les médias depuis le début de cette crise, mon scepticisme quant à la volonté de ce régime d’aller vers une solution pacifique. Je n’ai jamais cru qu’un régime de dictature puisse initier un dialogue en vue de remettre le pouvoir au peuple tel qu’il le lui demande. Après l’expérience de ce début de dialogue, il est temps que nous revenions à nos fondamentaux, c’est-à-dire revenir à l’instrument principal que la Constitution met à notre disposition, à savoir les manifestations publiques pacifiques.

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Le régime continue la préparation des élections malgré tout.

Vous n’êtes pas sans savoir que ce régime nous a déjà habitués à son double langage et à sa duplicité. Nous savons pertinemment aujourd’hui qu’ils continuent la préparation de LEUR REFERENDUM. Mais cela ne change en rien la détermination du peuple et de la Coalition. Nous allons nous battre contre ce régime.

Nous continuons de nous battre contre leur volonté affichée de nous imposer un référendum. Nous ne cesserons de nous battre contre des élections qui seraient organisées dans les conditions actuelles. Oui, nous nous battrons afin d’obtenir que ce régime puisse laisser place à une transition.

Vous avez, au niveau de la Coalition, brandi par deux fois la menace de retourner dans la rue, mais le Facilitateur a demandé que vous attendiez afin qu’il discute avec le pouvoir sur l’arrêt du processus électoral, mais aussi la mise en œuvre des mesures d’apaisement. Peine perdue ! Mais cette fois-ci vous êtes déterminés. Qu’est-ce qui a été déterminant ?

Je pense que dès le début de ce processus de dialogue, nous avions suffisamment d’éléments pour retourner dans la rue. Mais nous n’avons voulu faire les choses ni dans la précipitation ni de manière à ce que les gens le perçoivent comme un mouvement d’humeur ou une réaction épidermique. Nous avons voulu prendre le temps et laisser néanmoins une chance à cette initiative de dialogue dans lequel le président Nana Akufo-Addo s’est engagé. Il faut le saluer, il faut remercier son engagement.

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Il fallait donc donner l’opportunité au Facilitateur d’avoir un espace de sérénité pour mener ses actions. Mais au bout de deux mois pratiquement, je pense que nous avons suffisamment patienté, nous avons suffisamment respecté la démarche du Facilitateur, il est donc temps – et de notre responsabilité de représentants de la voix du Peuple togolais – de donner suite aux attentes d’une population qui se lasse de ce processus malheureusement stérile.

Je rappelle d’ailleurs que les populations n’étaient pas d’accord avec ce dialogue. Elles n’ont pas compris que la Coalition ait pu accéder – même si c’est en traînant les pieds – à la requête du Facilitateur de suspendre les manifestations. […] Aujourd’hui, nous revenons à nos fondamentaux ; autrement dit, nous reprenons la lutte là où nous l’avions mise en suspens, avec les manifestations publiques pacifiques.

Maintenant quel est le scénario plausible ?

Dans tout conflit, on finit toujours par se parler ; mais pour que les discussions puissent produire des résultats positifs pour les peuples qui se battent pour leur liberté, il faut qu’il y ait suffisamment de pression, une contrainte suffisamment forte sur ce régime.

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C’est pour cela que nous allons reprendre les manifestations afin de remettre un coup d’accélérateur sur les pressions en interne et bien entendu, il faut que ces pressions s’exercent aussi de l’extérieur du pays pour que le régime soit pris en étau et comprenne enfin que la voie de sortie royale qui leur est offerte est d’accepter de remettre le tablier afin que soit instaurée une transition de manière pacifique. Il leur faut comprendre qu’il est temps que les Togolais puissent recouvrer leur liberté et leur espace de démocratie.

Transition, parlons-en… Comment la concevez-vous au niveau de la Coalition ?

La transition n’est pas un concept nouveau que la Coalition invente. C’est simplement avoir un espace politique qui va permettre la mise en œuvre de toutes les modifications institutionnelles, toutes les réformes électorales, tout ce qu’implique le retour à la Constitution de 1992. Autrement dit, nous visons l’établissement de ce cadre de transition politique permettant d’aboutir à la mise en place d’élections propres, transparentes pouvant enfin donner satisfaction à tous les Togolais.

Depuis 1963, l’armée s’immisce dans le jeu politique au point d’en devenir un acteur majeur, malheureusement ; elle s’illustre bien souvent de la plus mauvaise des manières. Quelle est, aujourd’hui, la place de cette armée à l’étape actuelle ?

C’est une question qui me tient particulièrement à cœur et je voudrais que les lecteurs comprennent ma perception du rapport avec l’institution militaire. Au Togo, l’institution militaire est celle qui est la mieux organisée. C’est la seule institution, je dirais, qui fonctionne à peu près normalement. C’est vrai qu’il y a quelques personnes, une minorité, qui profitent de cette situation de dictature.

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Mais fondamentalement, nous ne devons pas fragiliser l’institution militaire, nous ne devons pas mener des actions qui vont affaiblir ses capacités. Ce que nous devons faire, c’est de définir clairement les missions de notre institution militaire. Nous devons lui donner les moyens de ses missions pour faire face aux menaces modernes qui viennent essentiellement de l’extérieur, notamment le terrorisme, le fondamentalisme, etc toutes ces menaces qui créent des foyers de tension un peu partout dans la région.

Nous devons la préparer à répondre efficacement à ces menaces. Bien entendu, nous devons former encore et davantage nos forces de défense pour que l’institution militaire réponde au mieux aux missions que nous allons lui attribuer. Je suis persuadé qu’au même titre que toutes les composantes de la Nation qui sont aujourd’hui à pied d’œuvre pour que la liberté et la démocratie siègent au Togo, notre armée saura jouer sa partition – en tant que dernier recours dans les situations difficiles pour une Nation – et faire ainsi en sorte que le Togo ne connaisse pas des lendemains difficiles.

Il faut également souligner que la Coalition a maintes fois rejeté toute idée de chasse aux sorcières. Nous connaissons le passé de notre pays, mais nous avons conscience du fait que l’alternance ne doit pas ouvrir la voie à la déstabilisation. Si nous voulons prévenir notre pays de moments difficiles après l’alternance, nous devons traiter la question de l’institution militaire avec beaucoup de délicatesse, avec beaucoup d’intelligence et avec beaucoup de doigté.

Chaque acteur, chaque citoyen, a désormais conscience que l’heure est venue de faire changer un système qui est en place depuis plus de 50 ans. Il est temps de passer la main à une autre formation politique afin que les Togolais puissent ensemble participer à la construction de leur pays.

Feriez-vous par exemple confiance à cette armée pour qu’elle protège la transition le cas échéant ?

Je viens de le dire. Il ne faut pas jeter l’anathème sur l’institution militaire. C’est vrai qu’il y a quelques individus qui profitent du régime. Mais il faut faire confiance à l’armée togolaise. Il ne faut pas considérer que demain lorsqu’il y aurait une transition, l’armée va se retourner contre les institutions de la transition.

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Il faut que nous puissions aussi la traiter avec égard, avec responsabilité, pour que cette armée comprenne que ce qui se joue aujourd’hui ne concerne ni une personne, ni un individu. Ce qui se joue, c’est l’avenir du Togo. L’enjeu, c’est le peuple togolais.

L’institution militaire doit jouer son rôle en accompagnant l’ensemble du processus et la transition. En tout état de cause, nous ne voulons pas l’opposer à d’autres forces. C’est la raison pour laquelle il est fondamental que notre armée ait une perception sans faille de son mandat de protéger les citoyens, les institutions et la transition.

Votre appel au peuple togolais ?

La force d’un peuple réside dans sa capacité à se dresser contre l’arbitraire et l’injustice. Et les Togolais sont debout, dressés contre l’arbitraire depuis plusieurs mois déjà. Et rien, absolument rien, n’indique que le peuple soit disposé à abandonner la lutte tant qu’il n’aura pas atteint l’objectif final.

Quand bien même nous avons consenti à donner une chance au fameux dialogue, en suspendant nos manifestations, j’appelle aujourd’hui l’ensemble des Togolais à sortir de ce que j’appellerais notre « contestation 2.0 » et à retourner massivement dans la rue, toujours de manière pacifique.

Nous devons faire confiance à la capacité des Togolais à aller au bout de leurs convictions, avec détermination ! Nous sommes le peuple togolais, nous avons foi en la démocratie au Togo. Marchons pour notre liberté. Il est temps !

 
Source: Liberté
Titre modifié

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