« Le comité national renforce ses capacités », « Plan stratégique de la politique agricole au centre d’un atelier », « Etude d’aménagement urbain : validation d’un document », « Réduction de la pauvreté et des inégalités : le ministère de l’Action sociale fait son bilan »… C’est avec ces groupes de mots qu’on construit désormais le Togo. Des groupes de mots qui permettent également de détourner les deniers publics et de s’enrichir. Gouvernement, organisations onusiennes, institutions régionales, ambassades accréditées au Togo, organisations non gouvernementales nationales et internationales s’y adonnent avec alacrité.
En 2016, 908 séminaires ou ateliers ont été organisés au Togo. Soit plus de 3,6 milliards de FCFA (5,5 millions d’euros) dépensés dans ces ateliers de formation. Pendant ce temps, les populations pauvres que tous proclament vouloir aider, tirent le diable par la queue.
Etat des lieux
D’entrée, nous disons aux lecteurs que nous avons fait ce travail à partir des différentes publications de « Togo-Presse », le quotidien national d’informations, qui, comme tous les autres médias publics (TVT, Radio Lomé, Radio Kara et ATOP), sont régulièrement sollicités pour la couverture médiatique. Certains journaux privés le sont aussi de temps en temps. Mais sachant que les paroles peuvent s’envoler, les organisateurs se rabattent sur le quotidien national qui leur consacre une bonne partie de ses colonnes. Car une coupure de presse permet de montrer au chef de l’Etat ou au bailleur de fonds que tout a été accompli. Ainsi, les articles ont peu ou prou le même format, le même titre, le même contenu. Sauf la signature qui change. Les images sont aussi les mêmes. Et les organisateurs et les participants prennent une pose ensemble en se barricadant derrière une banderole confectionnée pour l’événement. Ça s’appelle ici « photo de famille ». Ah oui, ceux qui pillent et ceux qui reçoivent quelques malheureux pécules pour leur participation aux séminaires, forment une famille ! D’ailleurs, ce sont presque les mêmes à qui on renforce les capacités chaque année, qui valident les documents ou plans stratégiques et qui se retrouvent dans tous les séminaires.
Pour l’année 2016, nous avons recensé dans le quotidien national, 908 séminaires, ateliers, sessions de formation organisés par les différentes entités du gouvernement, des partenaires au développement et des ONG nationales et internationales (Voir tableau). L’essentiel, c’est d’avoir de l’imagination : « Des sages-femmes en formation pour une meilleure prise en charge des nouveaux-nés et soins à la mère », « Institutionnalisation de l’opération « Togo-Propre » : Validation d’une stratégie de mobilisation sociale », « Accord sur le commerce des services : Un atelier pour renforcer les capacités des parties prenantes », « Prévention des conflits : Des facilitateurs de dialogue communautaire en formation », « Droit à l’éducation et à la santé : Enjeux de l’application de l’approche aux politiques de développement », etc. Avec 111 séminaires enregistrés, septembre est le mois plus prolifique en business des mots. Viennent ensuite les mois de juin (97) et de juillet (95).
Course aux séminaires
Tous les 23 ministères que compte le gouvernement togolais sont concernés par la politique des groupes de mots. Et c’est le ministère du Développement à la base, de l’Artisanat, de la Jeunesse et de l’Emploi des jeunes qui bat le record des séminaires et ateliers. On en dénombre 92. Dirigé par Mme Victoire Tomegah-Dogbé qui cumule depuis plusieurs années ce poste avec celui de Directrice de Cabinet du président de la République, ce ministère est celui de la propagande politique et électorale. De fait, cette ancienne employée du PNUD a initié une kyrielle d’agences et de programmes, dans le but de flatter les Togolais. Pardon, c’est pour lutter contre la pauvreté, comme on sait le faire aux Nations Unies. Pour énumérer tous ces programmes et agences financés par le gouvernement et le PNUD, les pages de ce journal ne suffiront pas. Néanmoins, citons-en quelques-uns : Programme d’appui au développement à la base (PRADEB), Fonds d’appui aux initiatives économiques des jeunes (FAIEJ), Crédit Jeune Entrepreneur (CJE), Agence nationale d’appui au développement à la base (ANADEB), Agence nationale pour le volontariat au Togo (ANVT), Fonds national de la finance inclusive (FNFI), Programme emploi jeunes (PEJ), Projet de soutien aux activités économiques des groupements (PSAEG), Projet d’appui à l’insertion professionnelle des jeunes artisans (PAIPJA), Projet de soutien aux initiatives communautaires (PSMICO), Accès des jeunes aux services financiers (AJS
(AJSEF), Accès des agriculteurs aux services financiers (AGRISEF), Accès des pauvres aux services financiers (APSEF). Ce sont donc ces différentes structures qui ont fait augmenter le nombre de séminaires initiés par ce ministère. Mais rien n’a changé sous le soleil togolais et la misère ne cesse de gagner du terrain. Ça fait bientôt dix ans qu’on engloutit des milliards dans des sigles (sic).
Le ministère de l’Environnement et des Ressources forestières vient en 2ème position avec ses 62 séminaires. Les changements climatiques et leurs corollaires étant une préoccupation mondiale, les partenaires au développement ainsi que les gouvernements n’hésitent pas à y mettre beaucoup d’argent. Des espèces sonnantes et trébuchantes qui se retrouvent dans d’incessants ateliers de renforcement des capacités et de validation de documents. Jusqu’aujourd’hui, personne ne voit l’incidence de certains projets comme la structure nationale de Réduction des émissions dues à la déforestation et à la dégradation des forêts (REDD+) et le Projet gestion intégrée des catastrophes et des terres (PGCIT). Démarré en 2013 et financé par la Banque mondiale, le PGCIT est, renseigne-t-on, « né de la volonté du Togo qui veut réduire significativement sa vulnérabilité face aux risques de catastrophes naturels et climatiques tels que les vents, la sécheresse, les épidémies, les éboulements des montagnes et les inondations ». Mais depuis début juin, les populations de Lomé ont les pieds dans l’eau et celles d’Aného partagent leur chambre avec la mer.
« Le Colonel Ouro-Koura Agadazi fait plus l’agriculture dans les médias que sur dans les champs »,raille un directeur d’organe de presse. Ce ministre qui est en même temps Directeur général de l’Agence nationale de la sécurité alimentaire (ANSAT), un autre cas de cumul de fonctions, aime les séminaires (41) et le spectacle. Il suffit de suivre les journaux télévisés sur la TVT pour s’en rendre compte. En dehors du budget du ministère, il existe beaucoup de projets qui sont financés par les partenaires au développement.
Suivent les ministères de l’Action sociale, de la Promotion de la femme et de l’Alphabétisation (38), du Commerce (32), de la Planification (28), de l’Economie et des Finances (26), Enseignement supérieur (24), etc.
Les pays occidentaux et les institutions internationales représentées au Togo n’échappent pas au phénomène des séminaires. Les ambassades de l’Union européenne, de la France, de l’Allemagne et des Etats-Unis d’Amérique ont organisé et/ou financé 31 séminaires et ateliers. Quant au PNUD, il est impliqué dans l’organisation de 34 rencontres. Les autres institutions des Nations Unies ont participé à la tenue de 36 séminaires. Sans oublier la CEDEAO, l’UEMOA et autres structures de l’Etat togolais.
« Les ONG sont aussi, parfois, des « deals » juteux pour ceux qui les initient. Certains fonctionnaires seraient tapis dans l’ombre de ministères, à l’affût de perspectives de financements. En situation de quasi délit d’initié, ils dégaineraient le moment venu -directement ou via un homme de paille – une structure humanitaire associative au domaine d’intervention à géométrie variable », écrit en 2012 « Slateafrique.fr » dans un article intitulé « Le Burkina, paradis des (patrons des) ONG ». Le tableau est le même au Togo. Les ONG nationales, financées par le gouvernement et les partenaires au développement, sont les as des séminaires et des ateliers. Au cours de l’année 2016, elles en ont organisé 186. Ce sont des moyens par excellence pour ces structures « à but non lucratif » de détourner les fonds. Elles sont suivies de près par leurs consœurs internationales qui ont organisé et financé 130 séminaires sur toute l’étendue du territoire national.
Des affaires de gros sous
La plupart de ces rencontres se sont tenues pendant trois jours. Si par exemple 4 millions de FCFA – ce qui est loin de la réalité – étaient mobilisés pour chaque séminaire, tous les différents corps auraient dépensé près de 3,6 milliards de FCFA. Une somme colossale qu’on pourrait utiliser pour changer effectivement le quotidien des populations démunies.
En effet, l’organisation d’un séminaire n’est pas une mince affaire. Il faut rembourser les frais de déplacement des participants, prendre en charge l’hébergement et la restauration, acheter des kits et payer les per diem. Pour les organisateurs venant des structures gouvernementales, il y a des frais de mission qui semblent les moyens les plus légaux pour s’enrichir. Ainsi, on multiplie à loisir les séminaires et ateliers, dans le but de capter ces frais de mission. Ce qui crée parfois des tensions dans certains ministères, puisque dans ce florilège très créatif de détournement de fonds, tous les agents ne sont pas logés à la même enseigne. Nonobstant tous les avantages liés à leur fonction, les ministres ne transigent pas avec les frais de mission. Et ils sont à toutes les rencontres où ils ont l’habitude d’exposer la fameuse« vision de Faure Gnassingbé ».
Ne nous demandez pas en quoi cette « vision » consiste. Même l’ancien patron du FMI, Dominique Strauss-Kahn qui a une fois posé la question aux ministres togolais, n’a pas encore eu de réponse.
Un autre fait qu’il convient de rappeler, c’est que la plupart des hôtels qui accueillent ces événements, appartiennent aux autorités gouvernementales ou à leurs proches. Ce qui laisse libre cours aux manigances et aux surfacturations. A ce niveau aussi, des divergences apparaissent entre les ministres et leurs collaborateurs.
Chaque année, c’est la même rengaine. Les séminaires et ateliers de renforcement des capacités et de validation des documents « stratégiques » se multiplient. Mais rien ne semble progresser, sauf les poches de ceux qui sont aux affaires et leurs complices qui militent dans les associations.
 

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