Certains attendaient un miracle ou un sursaut dans l’adresse de Faure Gnassingbé à l’occasion du 59è anniversaire de l’indépendance du Togo. D’autres prédisaient du « déjà entendu ». A l’arrivée, chacun a été servi à sa mesure. Mais sur le plan de la lutte contre la corruption à travers la déclaration des biens et avoirs, oser applaudir les propos dans ce sens serait méconnaître certaines réalités du pays d’une part, et la quintessence de l’article 145 de la loi fondamentale d’autre part.
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Les crimes économiques sont imprescriptibles, à moins d’une amnistie qui absolve les auteurs. Mais lorsqu’on se penche sur le cas du Togo, on se rend compte qu’aucun dispositif ne permet de poursuivre les haut perchés. Et les propos de Faure Gnassingbé ne font que confirmer ceux qui ont détourné dans un passé récent dans leur « bon droit ». Explications.
« Le gouvernement est déterminé à poursuivre l’amélioration de la gouvernance, notamment en mettant, dans les mois qui viennent, un accent particulier sur la lutte contre la corruption. Un projet de loi organique sera soumis à l’Assemblée nationale pour déterminer les conditions de mise en oeuvre de la déclaration des biens et avoirs prévue par la constitution ». Tels sont les mots du 1er magistrat vendredi dernier. Et certains sont allés jusqu’à louer le geste.
Entre le supposé projet de loi, son vote, la prise du décret d’application et l’effectivité des termes de cette intention de foi, le fossé peut être abyssal, et ce n’est pas fini. Les soi-disant « conditions de mise en oeuvre de la déclaration des biens et avoirs prévue par la Constitution » ne laisseront aucune place au commun des citoyens de savoir ce que détient tel ou tel ministre ou directeur de société. Au final, les Togolais resteront sur leur faim.
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Article 145 de la loi fondamentale du Togo : « Le Président de la République, le Premier Ministre, les membres du Gouvernement, le Président et les membres du bureau de l’Assemblée nationale et du Sénat et les directeurs des administrations centrales et des entreprises publiques doivent faire devant la Cour Suprême une déclaration de leurs biens et avoirs au début et à la fin de leur mandat ou de leur fonction. Une loi détermine les conditions de mise en oeuvre de la présente disposition ». Ce qui veut simplement dire que Faure Gnassingbé lui-même est concerné, selon la Constitution adoptée avant son arrivée au pouvoir. Or, le discours qui enfarine intervient seulement le 26 avril 2019, alors que Faure Gnassingbé himself est au pouvoir depuis avril 2005.
En français facile, tout ce que les gouvernements successifs, les différents Premiers ministres, les nombreux directeurs des administrations centrales et des entreprises publiques successifs ont honnêtement ou indûment accumulé ou amassé sera considéré comme étant leurs biens et avoirs légaux le jour qu’ils seront « contraints » de les déclarer. En d’autres termes, LE FUTUR PROJET DE LOI SUR LA DECLARATION DES BIENS ET AVOIRS NE SERA PAS RETROACTIF ! Et tous ceux qui –dans l’esprit de l’article 145- ont pris des libertés avec les fonds publics, peuvent en jouir tranquillement –selon le timing du discours- sans risque d’être inquiétés.
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Cette vérité est d’autant plus cinglante que la Constitution prévoit que ce soit seulement LA HAUTE COUR DE JUSTICE qui connaisse les crimes économiques de certains auteurs. Ainsi, selon l’Article 128, la Haute Cour de Justice connaît des crimes et délits commis par les membres de la Cour suprême. L’article suivant, le 129 poursuit : « La Haute Cour de Justice est liée par la définition des crimes et délits ainsi que par la détermination des peines telles qu’elles résultent des lois pénales en vigueur au moment où les faits ont été commis. La décision de poursuivre ainsi que la mise en accusation du Président de la République et des membres du Gouvernement est votée à la majorité des quatre cinquième (4/5) des membres de chacune des deux Assemblées composant le Parlement, selon la procédure prévue par une loi organique. En cas de condamnation, ils sont déchus de leurs charges ». On comprend alors pourquoi malgré des évidences de biens de faits de corruption de haut perchés, la Haute autorité de prévention et de lutte contre la corruption et les infractions assimilées (HAPLUCIA) demeure atone et silencieuse. Il faut du lourd pour enquêter sur certains cas. Malheureusement, le « gendarme » pour appliquer l’article 145 tarde à naître. En attendant, la lutte contre la corruption de Faure Gnassingbé ressemble à un slogan : « corrupteurs et corrompus de tout le pays, dormez tranquille, vos avoirs mal acquis seront légalisés ». Au demeurant, on commence à réaliser que c’est pour donner une apparence d’un pays en lutte contre ce fléau que la HAPLUCIA est si médiatisée. Puisque depuis sa naissance, elle semble plus dans la pédagogie que dans la répression. Il ne serait pas étonnant que des menus fretins soient poursuivis pour contenter ceux qui attendent un hypothétique miracle de cette institution.
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Un acteur politique a déploré le fait que Faure Gnassingbé n’ait pas dit un seul mot de compassion vis-à-vis des pertes en vies humaines que régence a engendrées, pour un discours sur l’état d’une nation meurtrie ; mais que la seule note à saluer, enfin s’il tient promesse, ce sont les dispositions envisagées pour la déclaration effective des biens. On attend de voir ce que cela va donner.
Abbé Faria
Source : Liberté No.2910 du 29 avril 2019

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