Le refus de rendre accessible aux Togolais le Palais de la culture interroge la volonté/l’obligation morale des dirigeants de promouvoir la culture et d’en faire un levain du développement économique, du progrès humain basé sur l’émancipation et l’épanouissement des populations.

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Le 17 mai dernier, un événement relayé par la presse est pourtant passé inaperçu : la Mairie de Tsévie a posé la première pierre d’un « Centre des jeunes et de la femme du Zio » sis au quartier N’Tifafa. Le centre sera au « cœur des activités récréatives, sportives et artistiques des forces vives de la préfecture », disait-on lors de la cérémonie, qui se déroulait à quelques jours du début de l’ouverture de la campagne des élections locales. Il sera érigé, dit-on, sur 4 hectares et comprendra un bloc administratif, un espace réservé aux femmes (sic), une médiathèque, une salle de jeux pour adultes et enfants, un co-working, une salle de gym et danse, un auditorium de 1000 places, un espace spectacle en plein air, un terrain multisports et des boutiques. Et il semble que le projet s’inscrit dans le cadre de la mise en œuvre du PAPV (Programme d’appui aux populations vulnérables), un programme bien évidemment initié par Faure Gnassingbé. CQFD.

Quand la Transition rêva développement culturel…

Cependant, il échappa à la presse que le nouveau centre sera érigé en lieu et place d’un immeuble tombé en ruine et démoli l’année dernière ou en début d’année 2019. Il s’agit d’un espace culturel construit à l’instigation du gouvernement de la Transition du Premier ministre Joseph Kokou Koffigo. Il faisait partie du programme culturel des nouveaux dirigeants, éphémères, du Togo. A l’issue de la Conférence nationale souveraine, les acteurs ont fait le constat du désert culturel au Togo, surtout sur le plan infrastructurel à l’intérieur du pays. Il faut noter qu’en 1990, le Togo croupissait sous la dictature militaire du général Eyadema et de son parti unique, parti –Etat RPT. Le monolithisme politique voulait un type de citoyen décérébré voué à la loyauté au timonier national. Un tel type de citoyen abreuvé à l’animation politique, le limon du culte de la personnalité. En dépit des bonnes intentions contenues dans le livret blanc du RPT, l’animation culturelle s’est glissée vers l’animation politique tout en engloutissant un important budget dédié à la culture. Résultat des courses : un désert culturel immense, un peuple groggy.

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Le régime de Transition, par l’intermédiaire du ministre de l’intérieur de l’époque, Kokouvi Massémé, initia ce programme de création de centres culturels dans toutes les préfectures, puisqu’il n’y a pas de dynamisme culturel sans ces espaces institutionnels dédiés. Tsévié, Tabligbo, et une ville voire deux du Nord , accueillirent les premières infrastructures. Mais le coup fatal porté à la Transition par la restauration militaire du général Eyadema laissa le programme en pointillés… Qui n’a jamais été repris par le régime du RPT.

Selom Klassou: Ce sera Kara ou rien !

Au début des années 2000, l’Union Européenne, préoccupée par le vide culturel décida de la restauration des infrastructures abandonnées à travers le Programme de soutien aux initiatives culturelles décentralisées (Psicd). Mais le Psicd se heurta au refus et au zèle du ministre de la Culture de l’époque, le Docteur Selom Komi Klassou (2000-2003), actuel Premier ministre. De sources proches du Psicd et de l’Union Européenne, M. Klassou exigea de l’UE que l’on construisît plutôt un autre espace à Kara. L’UE dit qu’il y a déjà un Palais des congrès à Kara et que la ville d’origine d’Eyadema n’est pas en besoin. Klassou répondit : à Kara ou rien !

On connait l’ardeur du militantisme RPT de Selom Komi Klassou depuis les bancs de l’Université du Benin, on connaît aussi son attachement farouche à la personne du général Eyadema et à la ville de Kara au point d’ignorer ses propres origines voire les autres villes du Togo, mais de là à compromettre indéfiniment l’avenir de tout un peuple quant à son accès à la culture est impardonnable.

L’année suivante, l’UE mit fin au Psicd. Et c’est ainsi que le Togo s’est retrouvé sans centres culturels dans les préfectures.

C’est le lieu de le dire, le développement culturel se heurte à la mauvaise volonté politique. La situation du Palais de Lomé, lieu, en théorie, ouvert et dédié aux populations togolaises, mais, en secret, détourné pour servir les besoins de visibilité du despote Faure Gnassingbe, n’est que l’écume manifeste d’une volonté politique sous-jacente de freiner le développement culturel du pays.

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1,5 milliard FCFA en pure perte

Cette volonté d’endiguement de la cause culturelle et artistique est manifeste dans la gestion gabegique qui est faite du Fonds d’Aide à la Culture, à qui on nourrissait de grands desseins, mais qui dépérit malheureusement dans les mains d’acteurs qui très tôt n’en ont fait qu’une petite boutique d’alimentation générale. De 2013 à ce jour, le FAC a dilapidé plus d’un milliard cinq cent millions de nos francs, somme qui aurait pu permettre de doter nos cinq régions de simples centres culturels en attendant de parler de vrais Palais de la Culture. Cette volonté est également manifeste dans cette politique clientéliste et obscure de promotion des arts plastiques sur le budget présidentiel, et qui permettra au chef de l’Etat de se constituer une petite cour d’artistes, qui lui vouerait ad vitam aeternam, reconnaissance et larbinisme. A ce rythme, ce sont les visiteurs qui auront beau jeu de se faire accueillir à l’entrée du palais par quelques acteurs de théâtre ou de cinéma, cheveux sur la langue, engagés à la petite semaine pour leur souhaiter : « Bienvenue dans la cour du Monarque Gnassingbé II ». Seulement n’est-il pas un peu tard pour jouer à Louis XIV en plein 21è siècle ?

Ainsi vogue la culture au Togo.

Tony Feda

Source : Le Temps (Togo)

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