Lorsqu’il existe un contrepoids réel qui empêche l’exécutif de conduire un pays comme un bateau sans gouvernail, les échecs sont souvent partagés, l’opposition étant au final taxée d’avoir mis des bâtons dans les roues du gouvernement. Mais à l’allure claudicante où avance le Plan national de développement (PND) dont l’échéance est pour fin 2022, soit dans 42 mois et 10 jours, que se passerait-il si le PND venait à arpenter les mêmes sentiers que ceux de ses ancêtres, les DSRP et la SCAPE ?

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Si des médias n’avaient pas tiré à boulets rouges sur ce folklore, certainement que le PND-Tour aurait continué son petit bonhomme de chemin. Comme si le Togo avait de l’argent à ne savoir quoi en faire, le pouvoir s’est lancé dans une course effrénée pour mobiliser 4.622 milliards FCFA avec comme échéance des réalisations fin 2022. Ce premier coup d’arrêt était un très mauvais signe. Aucun de ses conseillers n’a trouvé l’organisation de cette caravane trop somptuaire et somptueuse pour un pays dont le taux d’endettement à fin mars est de 70,3% du PIB.
Ensuite, il y a le timing choisi et le tintamarre orchestré. Les DSRP I et II (Document de stratégie de réduction de la pauvreté) et la Stratégie de croissance accélérée et de promotion de l’emploi (SCAPE) n’avaient pas été « personnalisés », comme l’est aujourd’hui le PND. Tout le monde parle du PND de Faure Gnassingbé, de Sélom Klassou, à Tony Blair en passant par Carlos Lopes. Comme si le financement allait provenir de lui. Ajouté à cela le moment, un connaisseur cité par Jeuneafrique Magazine n’a pas hésité à faire part de son appréhension, se référant à l’élection présidentielle de l’année prochaine: « Cette échéance électorale rend la question de l’adhésion au PND plus sensible parce qu’il faut transcender les clivages partisans pour montrer la pertinence du plan. C’est pour cela que l’équipe qui porte le projet doit être constituée de personnalités crédibles, qui ne peuvent être soupçonnées d’arrière-pensées carriéristes ou électoralistes ». Dans la même veine, l’ancien ministre de la Prospective et de l’Evaluation des Politiques publiques, Kako Nubukpo s’est prononcé. « Le PND n’est pas issu d’une démarche prospective impliquant les populations. C’est une vision portée par le chef de l’État, elle ne s’étend pas automatiquement à la base, relativise-t-il. Il y a un enjeu de pédagogie et de gouvemance. Le PND devrait être mieux expliqué. La présidence compte de très bons techniciens, mais ce plan ne représente qu’une phase pilote. Et puis il faut aussi composer avec le contexte local, les pesanteurs de nos ministères et la difficulté de faire adhérer des gens qui se demandent si ce plan ne sert pas un agenda électoraliste ».
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La pression est d’autant plus réelle sur l’exécutif que la composition de l’Assemblée nationale actuelle ne permet aucune remise en question du contenu du PND. Aucun député n’a fait part de ses critiques, fussent-elles constructives qui pourraient édulcorer ce plan. Même lorsqu’on fait dire à ce Plan qu’il permettrait une croissance de 7,6%, personne au sein de l’appareil législatif n’a trouvé cela trop décalé par rapport aux prévisions du FMI ou de la Commission de l’UEMOA, deux institutions qui parlent rspectivement de 5,4% et 5,1% de taux de croissance. C’est à se demander si les parlementaires veulent du bien à Faure Gnassingbé. Ce ne doit sûrement pas être l’effet du hasard lorsque dans le même numéro du journal panafricain, on s’interroge : « L’homme pressé/Le président Faure Gnassingbé, mise sur le Plan national de développement 2018-2022 pour accélérer les réformes structurelles et conduire le pays vers l’émergence. Cela sera-t-il suffisant? ».
Un forum politique de haut niveau sur le développement durable, tenu à New York en juillet 2018 et dont le rapport a été présenté en décembre par le Premier ministre Komi Sélom Klassou, rassurait au sujet du PND : « Il s’agit d’un programme innovant destiné à stimuler une agriculture professionnalisée à haute valeur ajoutée, bien structurée et orientée vers l’agroindustrie capable d’imprimer une croissance forte (7,6%), durable, résiliente, inclusive, créatrice d’emplois décents et induisant une amélioration significative de la qualité de vie de nos populations ». Mieux, le rapport semble d’une certitude sans faille et dans des termes affirmatifs. « La mise en œuvre du PND permettra de renforcer le rayonnement international du pays, d’améliorer l’inclusion sociale et financière, de positionner le secteur privé pour prendre le relais de l’investissement public, de renforcer la sûreté et la sécurité. Il se traduira par la mise en œuvre des programmes et projets comme (i) la transformation profonde du port et de l’aéroport international de Lomé, (ii) le développement du corridor logistique Nord-Sud, (iii) la facilitation de la connexion entre infrastructures de transport et zones économiques spéciales (ZES), (iv) la création de pôles de tourisme d’affaires autour de centres de conférences, (v) la création de pôles financiers et d’affaires autour des ZES, (vi) la construction de parcs industriels, la mise en place d’agropoles fédérant plusieurs activités et (vii) le développement des projets éducatifs, sanitaires et environnementaux. A terme, le PND permettra de créer 1 500 000 emplois (y compris les emplois indirects et les activités génératrices de revenus) ».
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En contraignant l’opposition véritable au boycott, Faure Gnassingbé et son gouvernement devraient avoir les coudées franches pour mener à bien le PND qui, rappelons-le, n’a plus que 42 mois et 10 jours pour faire grimper la croissance du Togo à un taux de 7,6%. On ne veut pas imaginer que quoi que ce soit pourrait justifier la non atteinte des objectifs fixés. Soit dit en passant, ce sont 4.622 milliards FCFA dont 35% viendrait de l’Etat et 65% du secteur privé qui sont attendus. A l’heure où la nouvelle ritournelle consiste en « une gestion axée sur les résultats », pour reprendre les termes du ministre de l’Economie et des Finances Sani Yaya, 2020 constituera une année charnière pour les citoyens qui voudront juger sur pièce le parcours réalisé. Ne serait-ce pas la raison pour laquelle le média panafricain qualifie Faure Gnassingbé d’« homme pressé » ? Mais la question est de savoir laquelle de la vitesse ou de la précipitation permettra à l’exécutif de joindre l’acte aux paroles. Au moins à l’heure du bilan, personne ne dira que c’est l’opposition qui aura empêché le chef de l’Etat de dérouler son PND !
Abbé Faria
source : Liberté

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