Au Togo tout comme dans plusieurs autres pays de l’Afrique subsaharienne, la frontière entre la foi et le mysticisme devient de plus en plus mince. La prolifération sur le continent  de  « dieu » autoproclamé ou « gourou spirituel »  aux pouvoirs incommensurables devient un phénomène social à hauts risques comme le montre une enquête publiée par nos confrères de Focus Infos dans leur parution No 179. Partant de l’exemple de celle qui se fait appeler « dieu de Banamé » au Bénin, nos confrères font le parallèle avec l’existence des sectes au Togo. Extrait…

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Au Bénin, c’est l’histoire d’une jeune fille, que tous ou presque ont vu grandir, Vicentia Tadagbé Tchranvoukinni. Elle serait née le 18 avril 1990 à Sakété, d’un père instituteur, Raymond et d’une mère revendeuse. Elle a passé son enfance à Tori-Gare, une localité située à une trentaine de kilomètres de Cotonou, la métropole du Bénin. Alors qu’elle a 19 ans, un jour de 2009, sa famille pense qu’elle est possédée et la conduit chez un exorciste catholique. La jeune fille qui se prend déjà pour la Vierge Marie, l’Esprit Saint, Dieu le Père et veut se faire appeler « Parfaite », arrive à convaincre son exorciste (curé de la paroisse) qu’elle dit vrai.

 Malgré les mesures timides au début de l’évêché d’Abomey, Parfaite qui se prend désormais pour Dieu le Père (« Daagbo », en langue fon) crée sa secte en août 2011 sous l’appellation « église catholique privée de Banamè ». Quant au Père Matthias Vigan, (le curé exorciste), il est érigé Pape de la nouvelle église sous la dénomination « pape Christophe XVIII ».

L’église catholique privée de Banamè s’illustre dans l’usurpation de titres et d’offices ecclésiastiques catholiques et les observateurs non avisés confondent rapidement les prêtres de la nouvelle église à ceux de l’église catholique. Banamé prend désormais de l’ampleur et érige un sanctuaire sur une colline. Même l’excommunication prononcée contre Parfaite et le Père Matthias Vigan par l’évêque d’Abomey, n’y fera rien.

Chaque jour, ils sont des dizaines de milliers à se rendre sur la colline. L’église s’étend au-delà des frontières béninoises, et gagne le  cœur de plus en plus de fidèles. Grace à un système bien huilé de ventes d’objets de miracles, T-shirts, sel, chapelet, image, l’Eglise de Banamè n’est plus seulement une puissance en termes de nombre de fidèles, mais également une puissance financière avec une surface impressionnante. À Pointe Noire, capitale économique du Congo, le phénomène est similaire.

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Guy Emile Loufoua Cetikouabo de l’église Louzolo Amour-OPH s’est auto-proclamé Dieu vivant sur terre.Pour ses nombreux fidèles, l’homme regroupe les trois critères qui ne peuvent appartenir qu’a Dieu lui-même, et qui font donc de lui, Dieu vivant sur terre. Il serait « omniprésent, omnipotent, omniscient ».

Sa secte qui s’étend jusqu’à l’autre grande ville du pays, Brazzaville et d’autres villes de l’Afrique de l’Est est fondée sur de curieuses légendes et doctrines. D’abord celle qui raconte que Guy Emile Loufoua Cetikouabo est né sans nombril et surtout la curieuse doctrine fondée sur la consommation de la bière. Surnommé « biéramicine » ce mélange supposé de foi et de bière est systématiquement vendu entre 3000 et 5000FCFA aux fidèles qui en consomment sans modération même les enfants persuadés qu’il détient des pouvoirs de guérison. De quoi renflouer les caisses de « dieu ».

« Je confirme que la bièramicine est un médicament, quand vous la prenez avec foi. » a indiqué l’un des fidèles du dieu de Pointe Noire à nos confrères d’Africanews.  Les exemples du genre « Parfaite de banamè » ou de guérison aux produits miraculeux sont légions en Afrique, au sud du Sahara.

« Superpuissants »

Dans une Afrique où le phénomène de magie et des pratiques mystiques ont encore large écho, ces personnalités qui se font appeler « dieu » ont le vent en poupe. Elles drainent des milliers de fidèles et développent des activités commerciales autour qui leur permettent d’avoir une surface financière considérable. Les « simples » églises éveillées où l’on appelait Jésus à longueur de journée pour déranger le voisinage laissent progressivement place à des déifications de personnes qui en font un fonds de commerce.

Un responsable de l’Eglise de Banamè que nous avons pu contacter reconnaît sous couvert d’anonymat que la guérison promise par ces gourous des temps modernes, comme la sienne, est un des principaux facteurs qui expliquent leur popularité. « Les Africains croient aux sortilèges, aux esprits. La plupart de ceux qui viennent à nous ont des problèmes métaphysiques, des envoûtements et des maladies que la médecine occidentale n’a pas pu guérir. » « L’Eglise privée de Banamé répond mieux aux aspirations des Africains qui attendent d’une religion

qu’elle puisse résoudre toutes les préoccupations de l’individu.» nous explique-t-il. Il est vrai que la misère, les nombreuses maladies dont souffre une majorité, la paupérisation et les frustrations sont des terreaux fertiles à ces gourous des temps modernes, qui proposent monts et merveilles sur terre ou au ciel. Pour attirer le plus grand nombre de fidèles, les responsables de ces nouvelles religions promettent réussites sociale et financière, ainsi que le salut éternel ou le pouvoir mystique. A force, ils sont devenus des leaders d’opinion, dont le message a écho auprès d’une large frange de la population.

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Pour Dr Bawa, sociologue, enseignant chercheur à l’université de Lomé, ces nouveaux pousses religieuses sont caractérisées essentiellement par la confession (privée ou publique), la rupture avec la famille, l’exploitation financière, une structure pyramidale, souvent autoritaire, la domination d’un gourou, le cloisonnement de l’accès et l’infiltration des institutions de l’Eglise de Banamé. Raison pour laquelle, le pouvoir de Talon semble indifférent, du moins pour le moment aux nombreuses dérives de l’église de Parfaite qui fait des vagues dans le pays et soulève le tollé général. La presse béninoise va jusqu’à accuser « le Président Talon d’une sensibilité sélective » face à ce qu’elle qualifie de « silence et d’indifférence aux agissements de cette église qui mette en péril la laïcité de l’Etat ». Seconde raison, dans un continent où le syncrétisme est encore bien présent, et où des politiques sollicitent eux-même le soutien des pouvoirs mystiques de ces gourous, ils ont du mal à réagir au nom de la protection de la liberté de religion.

Le Togo n’est pas epargné

 Si officiellement, l’on ne note pas encore de gourou se proclamant Dieu qui sévit au Togo, les sectes et les églises éveillées se multiplient comme des champignons avec des noms aussi bizarres les uns que les autres au grand dam de la population dont elle menace parfois la quiétude et dans l’indifférence totale des pouvoirs publics, indécis entre la protection des libertés individuelles et l’inexistence de gardes fous légaux à l’exercice du droit au culte. Il faut quand même noter que des églises de gourous ont des ramifications au Togo, comme celle de Banamé.

Mais ce qui défraie la chronique à Lomé sont les différentes affaires de supposés pasteurs qui, sur les réseaux sociaux et par médias interposés se livrent à des batailles de personnes, au grand dam d’un corps du Christ qui se cherche encore. Pratiques sataniques, débauches et rivalités sexuelles, insultes et dérives verbales de supposés hommes de Dieu sont aux centre de toutes les discussions depuis un certain temps.

Comme s’il ne suffisait pas que ces nouveaux disciples du Christ avec leurs églises, mettent à mal la quiétude sociale et le bon vivre ensemble par leurs actions de grâce, les prières très bruyantes, le tapage musical avec des instruments modernes des fois à des heures improbables de la nuit ou à midi, empêchant leurs voisins immédiats de vivre et de se reposer tranquillement, les pseudos pasteurs ont envahi les plateformes et réseaux sociaux, d’histoires aussi abracadabrantesques les unes que les autres.

Entre invectives, désirs de vengeance incontrôlés, règlements de comptes et attaques en règle, ces « pasteurs » d’un genre particulier surprennent par la violence, la virulence, les caractères vulgaires, odieux et haineux de leurs propos. Pire, les medias sont mis à contribution, permettant ainsi aux pseudo hommes de Dieu de se vilipender entre eux. Des fois ces pasteurs poussent l’outrecuidance loin au point de s’attaquer à d’honnêtes citoyens.

En témoigne cette mise en garde la semaine dernière de la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication (HAAC) à tous ceux qui utilisent « leurs medias pour provoquer, insulter, maudire ou régler des comptes personnels ». Certains pointent du doigt l’impuissance de l’état, car il n’existe aucune disposition régulant ce secteur. Pour tenter de donner une image on ne peut plus reluisante de leur communauté, certains pasteurs se sont regroupés au sein de l’Observatoire togolais des églises (OTE) pour « assainir le corps du Christ », selon le pasteur Badabadi, son président.

L’église plus ou moins inquiète

Pour l’Eglise catholique, dont l’Afrique subsaharienne représente la seconde plus forte communauté continentale après l’Amérique latine, la poussée de ces gourous, dieux autoproclamés représente des pertes réelles en termes de fidèles. Au Bénin par exemple, la plupart des adeptes de l’Eglise de Banamè, sont issus de l’Eglise catholique romaine. Et même s’il n’existe pas d’études scientifiques réelles sur la question, il est avéré que « l’Eglise qui perd le plus d’âmes au profit des sectes qui se multiplient est l’Eglise catholique » nous confie Dr Bawa.

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Une situation qu’il explique par l’absence d’un plan réel de rétention mis en œuvre par l’Eglise qui se mure dans les traditions qui trouvent difficilement écho auprès de populations miséreuses, favorables à toutes sortes de discours de salut, contrairement aux sectes et églises éveillées qui comme de véritables entreprises ne tarissent pas de moyens et d’innovations pour attirer et retenir « leurs clients »(fidèles).

Selon l’abbé Melessoussou, la multiplication phénoménale des petites Eglises et des nouveaux prophètes, qui se comptent par milliers en Afrique, est la conséquence de la crise que traversent les Eglises missionnaires, incapables de se convertir à la tradition africaine. «Les rites romains sont un peu froids. Ils ne touchent pas l’âme africaine. Les sectes exploitent ces points faibles et présentent aux Africains un Dieu à leur image. Il y a plus de danses, plus de musique. Le tam-tam, ce n’est pas tout. Mais c’est déjà mieux que l’harmonium et le latin.» Un prêtre catholique se dit confiant qu’il ne s’agit que d’une mode passagère.

« Certains vont vers ces sectes seulement à cause de la maladie. Ils nous reviennent après deux ou trois mois. Ils font du tourisme spirituel». « Ceux qui passent de la religion catholique aux sectes vont nous revenir, pense savoir un évêque parce que l’Africain est très attaché à ses racines». Ces bases sont moins solides, selon lui, chez les animistes. «Ceux qui passent de l’animisme aux sectes sont irrécupérables. C’est plus inquiétant.»

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