Ce Togolais de la Diaspora ne sait pas mâcher ses mots. Yémi de Souza, Chercheur en Economie et Géostratégie. Pour lui, les hommes en armes qui, depuis, assassinent les Togolais, d’une région à l’autre, endeuillant à tout vent les familles, sont de l’ethnie Kabyè. Et il le martèle, urbi et orbi, avec une verve inapaisable, sans s’encombrer de nuances quelconques. D’aucuns pensent que Yémi colle des mots tout faits sur une situation extrêmement complexe que, visiblement, il maîtrise avec peine. Les condamnations fourmillent. Pas plus que les approbations, elles, mutées. Mais, qu’on prenne garde pour ne pas amener Yémi à la guillotine, en lieu et place des Kouloum. Les paroles du Togolais n’ont rien d’un activisme infondé. Mieux vaut les méditer. Trop de compatriotes sont assassinés, sans raison. Les tueurs ont le vent en poupe . Curieusement. Jamais, l’Etat n’a présenté un seul devant la justice. La liste des victimes s’allongeant, l’Etat s’étant tu, la question reste entière, brûlante: qui sont-ils, ces bourreaux hargneux qui tuent au Togo? Doit-on se contenter de voir les autres mourir, la parole citoyenne elle aussi tue? Yémi de Souza a pris sur lui d’agiter le spectre.

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Par Kodjo Epou

L’Etat togolais a de puissants logiciels israéliens, acquis à prix d’or, en milliards, pour espionner de paisibles citoyens mais se révèle incapable de traquer les tueurs en série qui endeuillent nos villes et campagnes. Lequel état est celui-ci? Où sont ses services? Où est l’appareil judiciaire? Tous, à l’unanimité, absents. Yémi décide de remplir le vide de l’état. Et ses mots vont droit au but: «ce sont eux (les Kabyè) qui tuent, dans le but de protéger le pouvoir de la famille Gnassingbé … ; dans nos régions, ils s’arrogent des privilèges, détruisant chez les autres communautés activités économiques et titres fonciers … ; il faut que cela cesse …» Voilà les termes; l’auteur dénonce un fait précis imputé à un groupe précis. Il y va avec une persévérance incassable, dont il pulvérise les réseaux sociaux. Peu à peu, se soulève un mouvement qui risque de prendre forme.

Le ton de Yémi peut paraître trop cru, trop cinglant et porteur d’un vénin dangereux. A première vue. Cela ressemble en effet à une incitation à la haine tribale. Donc condamnable. En Afrique, de tels propos peuvent provoquer des secousses! Mais que cela ne soit point un obstacle! Il faut quand même avouer qu’un problème Kabyè existe. Bel et bien. L’origine se trouve dans notre histoire. Pour la conservation du pouvoir, la famille Gnassingbé a utilisé abusivement le rampart ethnique et, ce faisant, propagé des frustrations dans la population. Tout le pays est touché. Lorsqu’on cherche le fond des propos du compatriote, en rapport avec le schéma et le caractère des crimes, émerge forcément dans l’esprit un douloureux constat qui interpelle, qui appelle à une réflexion collective, à une méditation sérieuse et, davantage, à une action réformatrice vigoureuse que doivent entreprendre les officiels.

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Il s’agit d’une remarquable nouveauté dans la prise de parole. Une hargne à risques. Mais beaucoup plus une invite au débat. Ne serait-il pas là, Yémi, en train de dire tout haut ce que, par hypocrisie, la majorité des Togolais pensent tout bas? Ne doit-on pas plutôt y voir une campagne courageuse visant à crever un abcès puant qu’on cache, alors que le mal constitue une épée de Damoclès sur nos têtes et ronge dangereusement l’avenir de la société togolaise entière? Notre avenir, y compris celui les Kabyè. Il ne faut pas commettre l’erreur de faire un amalgame, d’accuser Yémi de vouloir dresser le Sud contre le Nord. Ce n’est pas de cela qu’il parle. Son théorème est plus ciblé, plus lucide que ça et n’aura pas besoin de trop de démonstration pour devenir évident. Il ne suffit pas non plus de le condamner puis, hypocritement, se retrancher dans un silence qui l’approuve en privé. Ce serait des postures trop courtes, trop faciles, un lâche déni qui travestit le problème qu’il pose.

Le manque de courage et la cafardise sont les attitudes dominantes chez beaucoup de compatriotes. Chez nous, le NON devient trop vite un OUI, toute conviction dissolue par des miettes. Ça a beaucoup nui au pays. Faute d’affronter les maux qui hypothèquent le vivre-ensemble et même l’avenir du pays, on fait l’option des grands détours, on extrapole pour parler, dans le cas d’espèce, de problème Nord-Sud. Certains vont même philosopher en des termes savants. D’autres, accrochés à leurs liens ethniques ou à leur ventre. Au total, des calculs mesquins de toutes sortes. Pendant ce temps, les tueurs à gages, manipulés, manœuvrés par la hiérarchie kabyè, commettent leurs forfaits, avec effroyable aise, sans remords ni crainte de châtiment?Voulons nous faire une nation dans une république ou voulons-nous privilégier nos bastions ethniques? Les tueurs, leurs sponsors, doivent répondre et dire ce qu’est leur choix pour le Togo.

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En réalité, notre pays récolte ce que le RPT sous Eyadéma avait semé dans les années 80. Les Sanvi de Tové, de Souza, Lawson, Johnson, da Sylva, Olympio, Fabre et autres Gomez n’étaient-ils pas désignés, publiquement, à la télévision nationale, comme des étrangers? C’est au nom de cette politique d’exclusion d’hier, héritage encore ancré dans les subconscients, que la frange extrémistes de cette ethnie, tuteurée, est poussée aujourd’hui à bastonner les « parasites », les torturer, les tuer, sans remords. L’esprit de la haine et de l’exclusion reçu en legs pousse ces tueurs à croire que tuer les autres est une activité ordinaire, que ces autres sont des étrangers, des ennemis. Le RPT a perpétué la tradition des assassinats gratuits, dans le but de faire aboutir ses desseins politiques. Les frustrations au Togo sont massives, palpables; elles se voient, s’entendent.

La perception que «ce sont des Kabyè qui tuent au Togo», il faut le reconnaître, est très répandue. Plus qu’on ne l’imagine. Elle va, sous l’effet Yémi, s’élargir de plus belle, et va sans nul doute armer davantage les cœurs meurtris de beaucoup de Togolais. Les crimes dénoncés, à l’observation, portent des griffes qui sont traçables sur une carte et pourraient conduire à l’exactitude de la campagne de Yémi de Souza. Faure, de père Kabyè et de mère Ewé, aurait pu être la solution; il aurait pu manœuvrer avec prudence entre les différentes ethnies en ménageant avec intelligence les susceptibilités des uns et les appétits des autres. Au lieu de cela, il s’est mu en un chef de clan qui fait prospérer la tactique des manipulations ethniques pour finalement se réduire, lamentablement, par les tueries, à chapeauter ce qu’on peut appeler un Service de Maintien de la Peur, opposant les Kabyè aux autres ethnies.

Peut-être, on peut à la limite déconstruire l’approche de Yémi de Souza au profit de termes plus conciliants, qui ouvrent la voie à un débat national. L’erreur serait de renier le mal; il existe, bel et bien. Les structures de gouvernance construites par l’actuelle président ne peuvent qu’aggraver les clivages. L’inverse aurait été une contre nature du système. Faure a refusé d’être un bon chef, un chef au milieu. Pire, il a considérablement chamboulé le Togo pendant ces quinze dernières années. C’est un fait indéniable. Comment mener une guerre sans merci contre ces tueries de coloration ethnique que pointe du doigt de Souza en des termes qui lui sont propres? Au lieu de s’en prendre à lui, il faut plutôt aller à la rencontre du mal qu’il dénonce, le regarder en face pour lui trouver une solution.

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Dans la sous-région, il n’y a qu’au Togo que les assassinats sont monnaie couranteC’est une plaie dans le visage du pays. Rien de noble et d’honorable. Dans leur ensemble, les Togolais, l’élite Kabyè avant les autres, ont un travail à faireImpérativement: soigner les traumatismes ethniques avec un esprit élevé de civilité et de pardon. Cette cure passe par la nécessité de retirer à cette «famille supérieure» la violence, son mode de gouvernance et, remettre entre d’autres mains, à la place de la violence, les lois et principes d’un Etat qui valorise et protège le peuple. Autrement, comment refonder le Togo sans les Gnassingbé qui nous ont montré leurs limites? Les Togolais, beaucoup plus les Kabyè, se doivent de résoudre cette équation avant longtemps, sans feinte ni crainte. La survie de notre embryon de nation en dépend.

Kodjo Epou
Washington DC
USA

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