Ni ministères importants, ni postes ronflants, Faure Gnassingbé les veut discrets. Conseiller, directeur de communication, coordonnateur de projets, ministre déléguée à la présidence ou secrétaire d’Etat, ils sortent presque tous de grandes écoles et certains d’entre eux sont fils d’anciens barons du régime. A l’ombre du chef de l’Etat, dans les mystérieux couloirs du palais, ces quarantenaires porteront en partie le Plan national de développement, PND. Six truculents Portraits.
24 janvier. Longtemps attendu, le nouveau gouvernement est connu. Enfin. Rentrée épuisée du boulot, une femme devrait gérer de nuit des appels de proches qui s’inquiètent de ce qu’elle ne figure pas dans la nouvelle liste. Dans sa villa chic de banlieue nord-est de Lomé, les appels s’enchaînent. Le lendemain, la présidence a dû publier un communiqué pour dire, en quelque sorte, qu’elle n’est pas concernée par le remaniement. Mazamaesso Assih, 40 ans, est une ministre d’un autre « genre », elle est ministre ou plutôt, secrétaire d’Etat auprès du chef de l’Etat. Comme elle, d’autres quarantenaires coulent dans la galaxie présidentielle. Sandra Johnson s’est révélée au grand public lors des récents exploits du Togo dans le dernier classement Doing business. Elle coordonne la Cellule Climat des Affaires dont le légendaire sigle, CCA, commence à sortir du lot. Shegun Bakari n’est quant à lui, aperçu qu’entre deux avions. Pourtant, la délicate question de l’énergie, c’est lui qui s’en occupe dans un pays où le taux d’électrification peine à atteindre les 40%. Quelques heures avant l’arrivée de la délégation présidentielle à Abu Dhabi mi-mars, il avait rallié la capitale des Emirats par Ethiopian.
Avec un autre qu’on ne voit nulle part et dont on sent la main tirer des ficelles ici et là. Toba Tanama est d‘une discrétion difficilement compatible avec la direction de la communication de la présidence qu’il pilote. Quand, le 4 mars, en marge du lancement du Plan national du développement, PND, Malick Natchaba retrouve la presse internationale au premier étage de l’hôtel 2 Février, sa maitrise du sujet indique le degré de son implication dans le projet. Ce fils de l’ancien président de l’assemblée nationale, Fambaré Ouattara, n’avait que 37 ans quand il prendra, pour une courte durée, la gestion du seul aéroport commercial du pays. Reckya Madougou n’est pas classable. C’est la pièce charnière entre deux générations de collaborateurs. Plusieurs fois ministre avant 40 ans, elle a enchaîné les consultations internationales avant de chuter au Palais dont elle préfère les mystères et la discrétion aux propositions que lui offrait l’International après sa sortie du gouvernement béninois en 2013. Depuis, chacun d’entre eux constitue un maillon de la machine présidentielle autour du polémique Plan national de développement. Nous vous proposons des portraits de ces jeunes qui comptent.
Assih Mazamaesso, secrétaire d’Etat hors gouvernement
Elle est en charge du secteur informel et de la finance inclusive. A la tête d’un sous cabinet qui dépend directement du chef de l’Etat. Une manière pour Faure Gnassingbé de prendre la main sur un secteur jusque-là aux mains de sa directrice de cabinet, Victoire Dogbé. Avant d’être à ce poste, Mazamaesso était responsable de la Cellule Assurance au Fonds national de la finance inclusive (Fnfi). Mais sa trajectoire aura été longue. Elle est le fruit d’une forte transhumance de 2003 à 2013 dans de grands groupes français. EDF, Peugeot SA, Generali avant le stratégique Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme de France (Fgao). Les deux secteurs dont elle s’occupe actuellement sont au cœur des défis du Plan national de développement que le pays vient de lancer pompeusement. Elle travaille d’ailleurs sans cesse à de nouvelles réformes pour rendre le secteur informel plus compétitif. Ouverte et accessible, celle qui n’a de ministre aucun signe ostentatoire laisse sa maisons ouverte aux voisins et amis tout en restant une passionnée des bulles… champagnolesques! Quelques bouteilles d’une petite fête à l’autre (comme elle les aime) ne déplaisent point à la fille du colonel Agossoye Assih, mère d’un petit garçon.
Sandra Johnson, « climatologue » des affaires
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31 octobre 2018. Le visage de cette femme belle et pudique est révélé au public. A 39 ans, elle coordonne la Cellule Climat des Affaires grâce à laquelle le Togo vient de gagner 19 points dans le dernier classement du Doing Business. Le Programme des Nations Unies pour le développement invite le premier ministre togolais entouré de plusieurs membres du gouvernement à suivre en direct l’annonce dans les locaux du système des Nations Unies. Sandra Ablamba Johnson devient ainsi un pion stratégique dans les nouvelles réformes en cours dans le pays. Diplômée de l’institut du Fonds Monétaire International à Washington, cette économiste du développement gère la coopération technique avec les institutions internationales. Banque mondiale, Fmi, Système des Nations, partenariats et accords économiques internationaux, elle tient la main. Avant d’être nommée conseillère, elle aura été coordonnatrice adjointe de la Cellule Millenium Challenge Account (MCA) qui travaille à l’entrée du Togo dans le programme américain éponyme. Elle fait partie de ces personnes qui s’accrochent à ce qu’elles font comme si elles n’ont plus que ça à faire. Le climat des affaires étant un élément incontournable du Plan national du développement, elle aura du pain sur la planche.
Shegun Bakari, un pied dans les kilowatt, l’autre dans les finances
Vous le cherchez ? Guettez-le en classe affaire des vols air France. Il bouge beaucoup et a toutes les raisons de le faire. Le Plan national de développement ayant prévu pour objectif d’atteindre les 75% d’électrification pour tout le Togo, « Monsieur Energie » de Faure Gnassingbé collecte Watts (W) et kilowatt (KW). S’il s’occupe essentiellement des questions d’énergie, Shegun Adjadi Bakari chapeaute plusieurs domaines à la fois comme conseiller. Ancien de la Société Générale Group (2013-2016) il s’implique fortement aussi dans le plan d’électrification 2022 et conseille parfois le président togolais pour des investissements bancaires et placements de fonds depuis 2016. Avant son entrée au Palais, il aura conseillé Abdoulaye Bio Tchané, ancien président de la Banque ouest africaine de développement (Boad) et ministre d’Etat du Bénin. Touchant un peu à tout, cet économiste formé à l’école de commerce de Lille aura été chroniqueur à Jeune Afrique. Le bouillant président de l’Institut national de l’économie (Ine, devenu depuis Eneam à Cotonou), a calmé ses ardeurs depuis son arrivée à la présidence togolaise où, suivant sans doute un mot d’ordre interne, il s’est fait bien discret. Une phase de sagesse pour ce franco-béninois à peine quarantenaire.
Toba Tanama, tireur de ficelle aux mains invisibles
C’est une vraie araignée qui tisse sa toile sans bruit. Togo Couleurs et Togo Matin, ce sont deux publications qu’il aura fondées mais jamais dirigées. Sans être trop vu nulle part. Le directeur de la communication présidentielle est un ancien communicant de AG Partners jusqu’en 2016, peu connu du grand public. Formé à Dakar à l’Institut Supérieur de Management et classé en 2016 parmi les 100 personnalités influentes du continent par New African, sa stratégie est simple, rester dans l’ombre et faire dire. Face à la pléthore de sites internet anti-régime, il réagit en créant, avec des équipes de jeunes, des relais de riposte comme de nombreux canaux digitaux déjà mis en place. Autogo en est l’un d’eux, gisant entre une fausse neutralité et un soutien subtil. Sa force, tenir le coup avec un budget presque minimaliste et jonglant, comme il sait le faire, avec ses contacts. Entre son bureau de la présidence et un autre qu’il tient au nord de Lomé, ce bon vivant et fin manipulateur au sourire permanent sait se poser, instant d’une bière dans un discret restaurant où il a ses habitudes en périphérie du centre ville. A 46 ans, il est l’aîné des quarantenaires, bien qu’il fasse plus jeune. Il sera au cœur de la communication du Plan national de développement, même si Publicis en tiendra les principales ficelles. Modeste et direct, il jure qu’il ne rêve jamais du gouvernement.
Malick Natchaba, sur les pas du père, la ruse en moins…
Tout a été très vite pour celui qui, à 40 ans, a coordonné le Forum togolais de Hanghzou (en marge du sommet Sino africain) l’année dernière, la première activité internationale consacrée au Plan national de développement (PND) dont il aura été un acteur cardinal. En charge de la Cellule Présidentielle d’Exécution et de Suivi des Projets Prioritaires depuis novembre 2017, poste qu’il cumule avec celui de chef de file du Mouvement des Jeunes du parti au pouvoir, Unir, il est le nouveau cerveau, enfin, le jeune, de la transformation de l’économie togolaise. Depuis son retour au Togo en 2014, il aura été pendant un an et demi Directeur général de la Société gestionnaire de l’unique aéroport commercial du pays. Nanti d’un master en finances publiques et fiscalités de l’Université d’Aix En Province et énarque de la promotion Romain Gary 2005, il est fils de l’ancien président de l’assemblée nationale, Fambaré Natchaba qui aura été, au cours des dernières années de Eyadema, le baron le plus influent. Dans l’entourage du président togolais, on plaisante que du père, « le fils a pris l’intelligence et l’exigence » avec la ruse en moins. C’était pourtant le signe caractéristique de celui qui aura régné en incontournable pendant deux décennies sous l’ancien président qu’il a loupé de peu de remplacer en tant que président de l’Assemblée nationale. Mais pour le fils, tout cela est déjà trop loin. Protégé et adulé par Faure Gnassingbé, il veut donner le meilleur de lui. Point !
Reckya Madougou, l’inclassable
Presque inclassable, plutôt déclassée du « m’as-tu vu « . Sauf en pointe de charme sur quelques photos officielles et pourtant, la presse locale lui attribue de colossaux pouvoirs. Cette conseillère spéciale qui a rang de ministre ne se trouve dans le lot que par son âge, sinon, son enrichissant parcours l’aurait bien placée en vieille baronnie. Précoce, elle aura été tout, si vite. Plusieurs fois ministre au Bénin, son pays d’origine dès ses 33 ans, elle a préféré aux propositions internationales un poste de conseillère à Lomé. A 44 ans (45 ans le 30 avril), Reckya Madougou est l’unique femme conseillère spéciale avec rang de ministre. Elle est un touche-à-tout de Faure Gnassingbé. Le Plan national de développement (Pnd) 2018-2022, la coopération économique sud-sud, le Fonds national des finances inclusives (Fnfi), elle est sur tous les dossiers financiers. Le Mécanisme incitatif de financement agricole (Mifa) dont elle est une parraine vient d’achever sa phase pilote grâce à sa posture et à son influence même si elle insiste pour en attribuer la paternité au chef de l’Etat. Effacée, cette passionnée du fashion qui fuit l’alcool et évite le café est dopée par le perfectionnisme et son obsession à réussir et à innover. Un diplôme d’ingénierie commerciale à l’Institut supérieur européen de gestion de Lille et un autre à l’école des hautes études internationales de Paris n’arrête pas cette férue du savoir qui, en octobre dernier, passe à Havard pour un ultime diplôme en finances. Distinguée par le « Woman of courage Award » du gouvernement américain, la stratégie de cette couche-tard est de multiplier la promotion de jeunes togolais dans l’entourage présidentiel. Son expérience dans la mobilisation de financements internationaux sera l’un des principales forces du Plan national du développement (PND).
Venus tous ou presque, avant leur 40 ans d’âge dans l’engrenage présidentiel, ces hommes et femmes seront, à divers niveaux, acteurs et témoins du Togo de demain. Avec une exigence, faire mieux qu’hier. C’est aussi sur eux que repose en partie le Plan national de développement, fort critiqué par la presse locale et qui devrait garantir au pays un demi million d’emploi, booster son agriculture, renforcer sa capacité énergétique, l’ouvrir sur le monde et doper sa croissance. Espérant que la corruption devenue endémique dans ce petit état de 8 millions d’âmes ne rattrape cet ambitieux plan. Un défi pour la jeunesse à laquelle, en Afrique, des chefs d’Etat font rarement confiance.
MAX-SAVI Carmel, Envoyé spécial à Lomé, Afrika Stratégies France