Il y a de ces faits et évènements qui restent à jamais coller à l’histoire de tout un peuple bien que ne concernant qu’un seul homme. Le crash du DC-3 du feu général Eyadéma le 24 janvier 1974 à Sarakawa en fait sans doute partie.

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Cet « attentat » dont le 46e anniversaire a été commémoré le 24 janvier dernier par les proches de l’ancien président a été pour beaucoup dans le mythe magico-réligieux qui a entouré la présidence d’Eyadéma comme le précise le chercheur togolais en Science Politique Comi Toulabor dans une tribune publiée en 2017 dans le journal français Libération. Extrait…

A peine connu le crash du DC-3 d’Eyadéma, la panne mécanique à son origine fut vite évacuée et transformée en attentat politique dans la pure ligne de la théorie du complot. La main de l’impérialisme français opposé à toute participation majoritaire de l’État togolais dans le capital social de la société des phosphates était abondamment dénoncée. En pleine savane, un mausolée en béton, s’inspirant d’un syncrétisme architectural alliant des modèles d’édifices chrétiens et des couvents vodu, encercle la carcasse métallique.

Depuis son édification, il est devenu un lieu de célébration d’une liturgie d’un genre nouveau qui emprunte au christianisme son discours théologique et au vodu ses pratiques cultuelles et sacrificielles. Comme dans un authentique couvent vodu dédié au Gu (divinité du Fer), Eyadéma en évêque et ses collaborateurs en co-célébrants, vêtus de boubous et de bonnets blancs, abreuvent la carcasse du sang de bêtes immolées après avoir harangué la foule de pèlerins de prêches aux accents chrétiens.

Sur le parvis du mausolée où trône une statue géante d’Eyadéma à l’instar du Legba, divinité protectrice des entrées des couvents vodu, chants, danses et transe ainsi que beuveries et agapes prolongeront tard dans la journée l’office religieux, incontestablement dédié à Eyadéma élevé au rang d’une divinité qui auto-célèbre ses propres mythes et mystères.

Le Messie monte sur son âne de fer

Auréolé de sa victoire sur l’impérialisme et la mort, Eyadéma rejoint Lomé le 2 février à bord de sa Mercedes décapotable après quelques jours de repos et de soins occultes dans son village natal. Tout le long des 450 km est ponctué de fréquentes haltes pour que la foule en liesse et brandissant des branches d’arbre lui rende des hommages. Des libations sont offertes aux mânes ancestraux pendant que sont effectuées des immolations d’animaux dont le sang lui est versé à même les pieds. Des fonctionnaires du numineux réputés du pays (prêtres vodu, marabouts) sont éparpillés sur le parcours pour conjurer le mauvais œil lors de ce retour qualifié de « triomphal ». La scène n’est sans évoquer le dimanche des rameaux avec le Christ entrant à Jérusalem.

Eyadéma fut alors systématiquement affublé de « Miraculé de Sarakawa ». D’autres appellations telles que les récurrentes « Moïse », « Josué », « Messie », « Sauveur » et les moins récurrentes « Ressuscité » ou « Christ » feront leur entrée dans la panégyrie officielle qu’enrichiront des griots selon leur degré de culture religieuse.

Cette instrumentalisation du sacré confère à l’ancien sergent-chef de la Coloniale une dimension surréaliste et absolutiste et l’investit de pouvoirs hypertrophiés de médium de statut divin : invincibilité, invulnérabilité, immortalité, omniscience, détention de la vérité, don de prémonition, etc. Lesquels le protègent et le blindent dorénavant des mauvais sorts et des contrariétés. Les découvertes répétitives de faux et de vrais coups d’Etats participent au renforcement du culte de la personnalité débouchant sur une monocratie absolue en apparence.

Une mythification du pouvoir aujourd’hui oubliée

De son vivant, le mythe de Sarakawa peinait déjà à s’imposer. Les Togolais faisaient semblant d’y croire pour échapper au système répressif. Ils roulaient le pouvoir-sacrement dans l’excrémentiel comme pour établir un front de contestation et de résistance symbolique qui ne bride pas une certaine ambivalence ou équivocité.

La découverte de la démocratie dans les années 1990 a permis de démanteler cet État de foi à la place duquel un État de droit tente péniblement de se substituer. S’ils regardent dans le rétroviseur ce passé politique, les Togolais ne peuvent qu’en rire en jurant de ne plus se laisser abuser aussi infantilement. D’autant que des fortunes matérielles conséquentes se sont constituées sur cet État de foi à leur détriment.

Faure Gnassingbe qui a pris la succession de son père semble ne pas convoquer l’héritage paternel pour sa légitimation, le contexte politique ne se prête plus à cette manipulation grossière de l’opinion.

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