Selon les informations de Mediapart, Gilles Huberson est visé par une enquête interne du ministère des affaires étrangères après le témoignage de plusieurs femmes l’accusant de violences sexistes et sexuelles. Il s’agit d’un des postes les plus prestigieux de la diplomatie française en Afrique.

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Selon nos informations, un des ambassadeurs français les plus en vue, Gilles Huberson, actuellement en poste en Côte d’Ivoire, est visé par une enquête du ministère des affaires étrangères : il est accusé de violences sexistes et sexuelles par au moins cinq femmes, qui en ont attesté, avec d’autres témoins, auprès du déontologue du quai d’Orsay. Les récits recueillis concernent des faits dans plusieurs pays, dont le Mali, où M. Huberson a été ambassadeur de 2013 à 2016, et la Côte d’Ivoire, où il a été nommé en 2017, et vont de remarques jugées dégradantes pour les femmes à des gestes à connotation sexuelle non désirés.

Contacté, le Quai d’Orsay n’a pas souhaité s’exprimer sur ce dossier. Il a cependant admis que « des vérifications sont toujours en cours ». Le ministère refuse aussi de confirmer officiellement le rappel de son ambassadeur, évoqué par plusieurs médias (notamment Africa Intelligence), dans un contexte tendu en Côte d’Ivoire, à quelques semaines de l’élection présidentielle. Malgré plusieurs mails, Gilles Huberson n’a pas répondu à nos sollicitations (voir notre Boîte noire).

Louisa* se souvient très bien de sa première rencontre avec Gilles Huberson. Contractuelle pendant dix ans au sein du ministère des affaires étrangères, elle est au Moyen-Orient quand elle apprend sa nomination au Mali. Selon elle, la réputation du chef de poste le précède. « Un gendarme avec qui je travaillais, qui avait connu Gilles Huberson lors d’une de ses missions sur le continent africain, m’a dit : “Fais gaffe, c’est un chaud lapin !”Je n’y ai pas vraiment prêté attention sur le moment », a-t-elle écrit dans un témoignage écrit, adressé au quai d’Orsay, que Mediapart a pu consulter.

Elle est reçue par le diplomate peu de temps après son arrivée. D’après son récit, il est près de 19 heures quand M. Huberson l’invite dans son bureau, celui-ci enlève sa cravate, s’assoit dans son canapé, se sert un verre de whisky, et allume un cigare. « Il me demande l’objet de ma mission. Je lui explique que je travaille notamment sur les questions de genre et de droits humains, ce à quoi il me répond “Ah ! Ça ne sert à rien ! Ce qui compte, c’est l’influence économique !” », raconte Louisa.

Toujours selon Louisa, Gilles Huberson ne s’intéresse guère à sa mission, mais a une opinion bien tranchée sur elle. « Lors d’une soirée, reprend-elle, un membre de la communauté française parle de moi en lui disant : “La nouvelle a l’air bien.” Il lui a répondu : “Pas assez mince pour moi.” Cette personne m’a rapporté ces propos quelques jours plus tard. »

Plusieurs personnes interrogées par Mediapart (hommes et femmes) parlent d’une « ambiance de caserne » dans l’ambassade dirigée par Huberson, décrit comme un homme autoritaire, amateur de whisky et de cigares, et qui n’hésite pas à lancer des plaisanteries sans grande finesse. Au Mali, la communauté française bruissait d’anecdotes sur l’attitude de l’ambassadeur.

« Jeune fille » et « Mademoiselle », répétés à des femmes mariées, « avez-vous eu l’autorisation de vos parents ? », lancée lors d’une réunion de service au lendemain d’une sortie tardive pour le travail, des réflexions sur l’âge ou la maternité… Lors de la préparation d’un plan de table en vue d’une rencontre importante, un collaborateur de l’ambassadeur aurait lancé à une employée présente : « Toi, ta place est sous la table ! », devant l’ambassadeur qui rira de bon cœur avec lui. Autant de « traits d’humour » qui déstabilisent plusieurs personnes présentes. À leur entourage, interrogé par Mediapart, l’une s’est dite « infantilisée » quand l’autre a rapporté avoir été « humiliée ».

Le code de déontologie du ministère proscrit « le fait d’exercer des brimades sur une collaboratrice et de laisser les autres collaborateurs en exercer sur cet agent », ou encore d’« user d’épithètes sexistes » et de « faire des commentaires humiliants ou désobligeants, fragiliser le sentiment de compétence des femmes par des remarques ou pratiques offensantes ».

M. Huberson est également accusé d’être allé plus loin à plusieurs reprises.

Selon plusieurs sources, l’ambassadeur se serait « jeté » sur une femme pour tenter de l’embrasser, dans le bureau de celui-ci. Contactée, celle-ci n’a pas souhaité s’exprimer.

Au Mali, à la résidence de France, une experte internationale a raconté que Gilles Huberson a posé sa main sur sa cuisse lors d’une entrevue professionnelle. Selon un document interne à la procédure, consulté par Mediapart, cette dernière ne se serait pas laissé faire, lui aurait « tapé sur la main », puis l’aurait traité de « gros dégueulasse » avant de mettre fin à l’entretien. Des faits que l’experte internationale date de 2013.

Il a fallu attendre six ans pour qu’une de ses collègues, une diplomate, saisisse le déontologue du ministère des affaires étrangères, fin 2019. C’est lui, Jean-François Blarel, qui a mené les premiers entretiens.

En mai, il a informé les témoins que « les affaires juridiques ont conclu à la gravité des faits et a approuvé le déclenchement d’une enquête administrative », selon un document consulté par Mediapart. Le déontologue y informe que le « secrétaire général » et « le cabinet du ministre » seront saisis pour mettre en place « une inspection générale ». Inspection qui a eu lieu en juillet, selon une source diplomatique, et qui a conduit à recueillir de nouveaux témoignages, y compris de la part d’hommes ayant pu être témoins.

Mais depuis, le quai d’Orsay se mure dans le silence et se réfugie derrière la confidentialité des procédures internes. Interrogée par Mediapart, la porte-parole Agnès von der Mühll, par ailleurs haute fonctionnaire à l’égalité du ministère, confirme simplement que « des vérifications sont en cours », tout en assurant que les procédures internes sont « sérieuses ».

En interne, l’ambiance est pourtant très tendue. Les personnes qui se sont manifestées auprès du déontologue et dans le cadre de l’enquête administrative craignent pour leur carrière. De nombreuses personnes n’ont pas osé répondre, par peur d’être sanctionnées. Et les femmes que Mediapart a contactées ont toutes refusé de répondre à nos questions, tant elles redoutent d’éventuelles représailles de leur hiérarchie.

Une agente en poste à l’étranger, ayant eu connaissance de certains faits décrits plus hauts et contactée par Mediapart, explique avoir « peur » pour son emploi si elle répond à nos questions.

Il faut dire que Gilles Huberson n’est pas n’importe qui. Saint-cyrien, ancien chef d’escadron de la gendarmerie nommé conseiller des affaires étrangères en 1997, spécialiste des questions sécuritaires, et directeur des affaires générales du géant du luxe LVMH, de 2007 à 2009, le diplomate s’est rapproché du ministre Jean-Yves Le Drian à la faveur de la guerre au Mali.

Il devient en février 2013 chef de la mission interministérielle « Mali-Sahel », quelques semaines après le déclenchement de l’opération militaire française Serval. Au ministère de la défense : Le Drian. Quelques semaines après seulement, il prend le poste d’ambassadeur à Bamako. Nommé en 2016 à l’île Maurice, il atterrit en 2017, après la nomination de Le Drian aux Affaires étrangères, en Côte d’Ivoire, l’ambassade la plus prestigieuse d’Afrique pour un diplomate français.

protégé ». Certes, M. Huberson et M. Le Drian se sont « connus au Mali, poursuit le Quai, mais cela ne veut pas dire qu’il [Huberson] soit proche ou protégé ».

L’administration avait-elle eu connaissance des agissements de Gilles Huberson, avant sa nomination en Côte d’Ivoire et avant les signalements parvenus au déontologue en 2019 ? Pour un ancien diplomate contacté par Mediapart, les accusations portées au Mali « étaient connues de beaucoup de monde » au quai d’Orsay, avant la nomination de M. Huberson à Maurice, en 2016.

Une source au sein du Quai affirmait à Mediapart, dès 2019, avoir connaissance de ces faits. Un document consulté par Mediapart montre par ailleurs qu’un haut fonctionnaire est intervenu auprès de l’administration dès 2014 pour faire cesser les agissements présumés de M. Huberson…

À Paris, lors d’un point sur sa mission, l’une des femmes qui a témoigné contre Gilles Huberson dans l’enquête interne dit à une amie avoir confié ses difficultés au service des ressources humaines du ministère. Sans résultat. Dans un échange privé consulté par Mediapart, la diplomate dit à sa confidente en « avoir marre des machos ».

Jean-Yves Le Drian avait-il connaissance des accusations visant Gilles Huberson ? « Je ne sais pas dans quelle mesure, c’était connu du ministre, maintenant c’est connu… Par chance avec ce genre de procédure, aujourd’hui les choses se savent et se disent », répond le porte-parolat du ministère.

Les reproches faits à M. Huberson ont-ils par ailleurs fait l’objet d’un signalement au titre de l’article 40 alinéa 2 du Code de procédure pénale, qui fait obligation à toute autorité constituée, officier public ou fonctionnaire, de signaler les crimes ou délits dont il a connaissance dans l’exercice de ses fonctions ? Le Quai botte en touche, et se borne à ne pas vouloir « commenter les cas individuels ».

Pour le déontologue, toutes les remontées auprès de lui ne nécessitent pas de signalement au titre de l’article 40 auprès du procureur de la République. À la connaissance de Mediapart, un seul cas a fait l’objet d’une telle procédure, en 2017.

« Les signalements au titre de l’article 40 ne sont quasiment jamais faits, le Quai préfère régler ça en interne », explique Valérie Jacq-Duclos, ex-secrétaire générale de la CGT-MAE. Pour avoir suivi d’autres cas de harcèlement, moral et sexuel, elle estime que le ministère est encore très frileux dans la gestion de ces dossiers. Elle confie ainsi que « les mesures conservatoires sont utilisées contre les victimes présumées : souvent on les déplace ou on les rapatrie à Paris, ce qu’elles vivent comme une sanction, puisque cela impacte leur situation financière, voire leur vie familiale ».

Le sexisme au sein du Quai d’Orsay a d’ailleurs longtemps été tabou. En février 2018, une liste de remarques sexistes avait été recueillie par l’association Femmes et Diplomatie. « Ma petite », « toujours aussi élégante », « cette coupe de cheveux te va très bien, tu devrais te coiffer comme ça plus souvent », « 3 enfants en bas âge ? Veuve en plus ? Mais vous êtes un vrai cas social ! Je ne pourrais jamais compter sur vous », « je vous garde mais vous ne faites pas de gamin ! », « je n’ai rien contre les femmes, je suis marié »… La liste, consultée par Mediapart, est longue et édifiante.

Dans la foulée, le 6 mars 2018, le ministre des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, avait annoncé la création d’une cellule d’écoute consacrée aux violences sexistes et sexuelles, baptisée « Zéro Tolérance ». C’est par ce biais que les victimes supposées de Gilles Huberson se sont fait connaître.

En deux ans et demi, selon les chiffres communiqués par le ministère à Mediapart, « 31 signalements » ont été effectués auprès du déontologue. En juillet 2019, sur les « 17 signalements » alors comptabilisés, cinq portaient sur des agissements sexistes, huit sur des agressions sexuelles, selon la CFDT-MAE.

Mediapart

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