Depuis plus d’un demi-siècle, et malgré les Indépendances, les services de la présidence française conservent des liens étroits avec l’Afrique. Dans l’ombre ou la lumière, la cellule africaine de l’Élysée a parfois constitué un État dans l’État, entretenant barbouzeries et pratiquant la diplomatie parallèle. Qui sont les hommes – et les femmes – qui ont occupé le fauteuil de Jacques Foccart ? 
Une adresse : 2, rue de l’Élysée. Un nom, la cellule Afrique. Mais là où les services étaient pléthoriques il y a un demi siècle, cette excroissance élyséenne qui a alimenté tous les fantasmes ne compte désormais plus que quatre personnes. Emmanuel Macron y a nommé le duo Franck Paris et Marie Audouard, avec des moyens limités par rapport à leurs prédécesseurs. Le premier d’entre-eux était le très controversé Jacques Foccart, l’homme qui a incarné la Françafrique. Jeune Afrique vous propose de (re)découvrir les hommes – et les femmes – qui ont pris sa suite.
Jacques Foccart : le grand ancien (1960-1974)
Cadre commercial dans les années 1930, il s’engage dans la Résistance lors de l’occupation allemande, puis, à la Libération, intègre les services de renseignements français et la direction du mouvement gaulliste. Après le retour de de Gaulle au pouvoir, en 1958, il orchestre la politique africaine de la France en s’appuyant sur ses réseaux de renseignements et d’action.
Autres dossiers traités : les indépendances africaines, la guerre au Cameroun et celle d’Algérie, les tentatives de sécession au Katanga et au Biafra, ainsi que l’arrivée au pouvoir d’Omar Bongo.
René Journiac : l’héritier discret (1974-1980)
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Magistrat de formation (il fut juge au Cameroun), il devient le bras droit de Foccart puis son très discret successeur, mais doit composer avec ses encombrants réseaux. En Centrafrique, il tente de faire revenir Jean-Bedel Bokassa de ses folies impériales – et, accessoirement, de sécuriser les approvisionnements de la France en matières premières. Bokassa va jusqu’à brandir sa canne dans sa direction. Il reste impavide puis, à la demande de Giscard, organise la chute de l’empereur (opération Barracuda, septembre 1979).  Autre dossier traité : la rébellion tchadienne et l’enlèvement de Françoise Claustre.
Martin Kirsch : le technicien (1980-1981)
Juriste spécialiste du droit du travail, il expédie les affaires courantes à la fin du septennat de Valéry Giscard d’Estaing.
Jean Audibert : le surveillant (1986-1988)
Jean Audibert a dirigé, de 1986 à 1988, la cellule Afrique de l’Élysée, à la suite de Guy Penne, gérant notamment le dossier de l’assassinat de Thomas Sankara. François Mitterrand lui avait confié la mission de surveiller Jacques Foccart, revenu aux affaires à la demande de Jacques Chirac, alors à Matignon. 
Guy Penne : le franc-maçon (1981-1986)
Chirurgien-dentiste de formation, il est le premier socialiste à occuper le poste. Changement d’époque ? 
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Oui et non, puisque François Mitterrand le charge, à la différence du ministre Jean-Pierre Cot, de conserver les bonnes relations avec les chefs d’État du pré carré. Moins secret et retors que Foccart, il met en place ses propres réseaux, francs-maçons notamment. Éclaboussé par l’affaire du « Carrefour du développement », il laisse sa place à Jean- Christophe, le fils du président. Autres dossiers traités : l’arrivée de Paul Biya au pouvoir au Cameroun et celle de Thomas Sankara au Burkina.
Jean-Christophe Mitterrand « Papa m’a dit » (1986-1992)
Journaliste, il est recruté par Guy Penne comme documentaliste à la cellule Afrique, dont il finit par prendre la tête. Le surnom de « Papa m’a dit » dont il est vite affublé définit bien son rôle. Au Rwanda, au Cameroun, au Congo-Brazzaville, au Gabon, en Côte d’Ivoire, en Angola, il incarne le côté affairiste de la Françafrique. C’est un « fils de », un intermédiaire un rien naïf qui, après son départ en 1992, deviendra conseiller chez Elf-Aquitaine après avoir brigué en vain le poste d’ambassadeur en Côte d’Ivoire.
Bruno Delaye : le témoin impuissant (1992-1995)
Énarque, numéro deux de l’ambassade de France en Égypte puis ambassadeur au Togo (1991), il prend la direction d’une cellule fragilisée par les affaires. Informé des risques génocidaires au Rwanda, il s’en fait l’écho auprès de son gouvernement, mais doit composer avec les intérêts français dans la région des Grands Lacs. 
Otage de la lutte d’influence qui oppose l’Élysée de Mitterrand au Matignon d’Édouard Balladur, il se montre impuissant à empêcher la tragédie.
Michel Dupuch : l’homme d’Abidjan(1995-2002)
Ambassadeur à Abidjan pendant plus de quinze ans, il favorise Henri Konan Bédié, dont il est proche, dans la lutte pour la succession d’Houphouët-Boigny. Mais, lors du putsch de Noël 1999, il ne parvient pas à sauver son protégé. Autres dossiers traités : la guerre civile au Congo-Brazzaville (1997-1998)  et la crise à Madagascar (2001-2002).
Bruno Joubert : la cinquième roue du carrosse (2007-2009)
Alors que Sarkozy est résolu à en finir avec les réseaux chiraquiens, cet ancien des ministères des Affaires étrangères et de la Défense, passé par la DGSE, prend la tête d’une cellule africaine qui n’est plus que l’ombre de ce qu’elle fut. 
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Elle est désormais placée sous l’autorité de Jean-David Levitte, le conseiller diplomatique de l’Élysée, et pâtit de l’action de Claude Guéant et de certains conseillers de l’ombre, auxquels Sarkozy fait appel dans les dossiers les plus délicats. Désavoué, en 2008, lors du putsch en Mauritanie, il part sans faire de vagues pour l’ambassade de France au Maroc.
Michel de Bonnecorse : le dernier indépendant (2002-2007)
Cet ancien ambassadeur au Kenya et au Maroc le sait : la cellule africaine a beaucoup perdu de son influence depuis le temps de Foccart. 
Certes, la France a encore ses protégés, comme le Tchadien Idriss Déby Itno, mais son action est de plus en plus contrariée par les juges et les défenseurs des droits de l’homme. 
En Côte d’Ivoire, le couple Chirac-Bonnecorse évite l’embrasement général grâce à l’opération Licorne, mais ne parvient pas à faire appliquer les accords de Marcoussis de 2003 et gère maladroitement les suites du bombardement de Bouaké en 2004. 
Chiraquien pur jus très attaché à la stabilité des régimes africains, Bonnecorse quitte son poste après l’élection de Sarkozy, et regrette l’apparition de réseaux africains indépendants de la cellule. Autres dossiers traités : l’affaire Borrel, à Djibouti, et la succession d’Eyadéma, au Togo (2005)
André Parant : le réformateur (2009-2012)
Comme son prédécesseur, cet énarque est tiraillé entre l’affairisme sarkozyste et sa volonté apparemment sincère d’en finir avec la Françafrique. Ancien ambassadeur de France au Sénégal, il est le petit-fils d’un gouverneur de la France libre au Gabon et le fils d’un conseiller d’Houphouët. 
En Guinée (chute de Dadis, 2009) et au Niger (putsch de 2010), il soutient avec succès des solutions de sortie de crise tout en étant conscient que la cellule n’est plus qu’une composante parmi d’autres de la politique africaine de l’Élysée, de nombreux réseaux échappant à son contrôle. 
Proche du réformateur Rémi Maréchaux, aujourd’hui directeur Afrique du Quai d’Orsay, Parant est nommé en 2012 ambassadeur en Algérie. Autres dossiers traités : la crise postélectorale en Côte d’Ivoire (2010-2011) et l’alternance au Sénégal (2012).
Hélène Le Gal et Thomas Mélonio : la diplomate et le militant (2012-2017)
Récusée comme ambassadrice de France au Rwanda, Hélène Le Gal prend sa revanche en intégrant la cellule Afrique de l’Élysée, placée sous l’autorité du conseiller diplomatique Paul Jean-Ortiz (décédé en 2014). 
Ancien « Monsieur Afrique » du Parti socialiste, Thomas Mélonio en devient pour sa part le conseiller technique et met largement à contribution les réseaux de l’Internationale socialiste. 
Très branché développement et plus attaché que d’autres aux droits de l’homme, le duo n’a qu’un poids limité face aux « militaires » : Benoît Puga, chef d’état-major particulier de Hollande, et, surtout, Jean-Yves Le Drian, le ministre de la Défense, et son directeur de cabinet, Cédric Lewandowski. Autres dossiers traités : les interventions au Mali et en Centrafrique, la chute de Compaoré, des réélections contestées de chefs d’État (Tchad, Gabon, Congo).
Franck Paris et Marie Audouard : les coudées franches (2017-)
Discret à l’excès, Franck Paris se montre très strict sur la confidentialité de ses échanges, comme au temps (2010-2017) où il travaillait au ministère de la Défense. Ancien conseiller de Le Drian, cet énarque également passé par le Quai d’Orsay, l’ambassade en Côte d’Ivoire et l’UE est, à 40 ans, le plus jeune « Monsieur Afrique » de la Ve République. 
Marie Audouard, son adjointe, 35 ans, est elle aussi une ancienne du Quai. Elle a ensuite rejoint la représentation française auprès de l’ONU, à New York, où elle s’est occupée de la RD Congo. 
Leur référent, Philippe Étienne, conseiller diplomatique d’Emmanuel Macron, n’étant pas un spécialiste de l’Afrique, ils devraient avoir les coudées franches.
Source : jeune Afrique.com

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