Comment analyser un coup de théâtre et déchiffrer les intentions d’un régime impénétrable ? Autant jouer aux fléchettes dans le noir. L’Amérique des experts et journalistes s’y essaie… avec un bonheur inégal.

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Kim l’eût cru ? Prise de court par l’annonce surprise d’une rencontre Donald Trump – Kim Jong-un, la planète des experts, journalistes et politiques de tout poil se gratte l’occiput. Ce qui n’est pas avisé quand vous êtes à la télé, et guère pratique quand il faut rédiger un article.

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Mais comment faire autrement ? Comparée au secret épais qui enveloppe tout ce qui se passe à Pyongyang, la Cité interdite de Beijing a des airs de livestream de Secret Story.

Seulement il faut bien écrire, montrer sa bobine à la télé. Avoir l’air de savoir, même si l’on sait surtout que l’on ne sait rien. A chacun sa tactique.

Le pur-sang

Il y a les journalistes lambda, et il y a Nicholas Kristof, l’éditorialiste globe-trotter du « New York Times ». Coup de chance, il était en Corée du Nord en septembre dernier, ses fiches sont donc à jour et il a pu dégainer son article dès hier soir.

Il attaque très fort : le OK de Trump à une rencontre au sommet est « un pari dangereux et une mauvaise idée ». Evidemment, on lit avec intérêt. Kristof explique qu’une rencontre mal préparée risque d’être catastrophique, ce qui est raisonnable.

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Mais à mi-chemin, on le sent pris d’un doute : et si cela marchait ? Hop, il allume les rétrofusées : l’invitation de Kim est « encourageante » et l’on peut maintenant imaginer une voie à suivre « enthousiasmante » pour les deux pays. Voilà un pur-sang qui, au minimum, finira placé.

L’anti-Trump

Vous, je ne sais pas, mais il y a une chose et une seule qui me ferait accepter l’idée de laisser Trump achever tranquillement son premier mandat (pas d’être réélu, faut quand même pas pousser) : la fin d’un risque de conflit nucléaire.

Visiblement, tout le monde n’est pas de cet avis. L’idée de voir Trump surfer sur un succès diplomatique majeur fait s’étrangler les anti-Trump viscéraux. Bien sûr, ils ne peuvent pas dire ouvertement qu’ils souhaitent que l’initiative se termine en eau de boudin. Alors ils attaquent par la bande. « Il s’agit de détourner l’attention, évidemment », croit savoir Joe Scarborough, le co-animateur de « Morning Joe », sur MSNBC.

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Une attention qui se portait sur qui, au juste ? « Stormy », alias Stormy Daniels, l’actrice porno qui menace de tout dire sur ses escapades avec Trump. Comme ce dernier « ne veut pas que sa famille voie la star du porno à la une des journaux », il la remplace par Kim Boum-boum. CQFD.

Le néocon

Il a beau être de droite, il déteste Trump et, plus encore, tout ce qui peut ressembler à un accommodement avec un régime détesté. Autant dire que l’idée d’une rencontre Kim-Trump, sur le mode émission de téléréalité, le fait totalement sortir de ses gonds.

Pour le journaliste Max Boot, aucun doute, « Moon [le président sud-coréen, NDLR] and Kim, chacun pour ses propres raisons, se sont joués du président américain crédule pour l’attirer dans une rencontre au sommet qui se terminera probablement par un désastre, d’une façon ou d’une autre ». Le seul but de Kim, écrit-il, « est de finir de mettre au point une ogive nucléaire adaptée à un missile balistique intercontinental capable d’atteindre les Etats-Unis ».

L’oracle

Avouons-le : quel journaliste a résisté à la tentation de vous expliquer ce qui allait se passer ? On peut en guérir, mais ce serait dommage. C’est du win-win ! Soit l’avenir vous donne raison et vous pourrez plastronner, soit il vous donne tort et tout le monde aura oublié ce que vous aviez écrit.

Tom Nichols, de « USA Today », nous fournit donc un scénar clés en main :

« Kim et Trump vont se rencontrer, et le régime de Kim engrangera des heures de vidéos qui se propageront de façon virale dans le monde entier, montrant un président américain serrant la main au Chef suprême, dirigeant éternel de la Corée du Nord. […] Après le sommet, Pyongyang exigera d’autres pourparlers.

Quand ceux-ci auront échoué, Kim blâmera Trump, provoquant la colère et la stupéfaction du président. Trump reprendra les insultes, ce qui offrira à Kim un prétexte pour se retirer des accords préliminaires. Tout s’écroulera et la Corée du Nord apparaîtra comme le grand vainqueur. » Etc, etc.

Le chirurgical

Celui-là se garde bien d’offrir une analyse d’ensemble, il préfère se cantonner à des frappes chirurgicales dans les domaines qu’il maîtrise. Tactique qui ne mange pas de pain mais peut se révéler efficace.

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Un bon spécimen est Colin Kahl, ex-membre du Conseil national de sécurité d’Obama :

« Trump se voit lui-même comme un négociateur hors-pair, et pourtant il n’est pas très bon dans ce domaine. Il n’est ni réfléchi, ni familier avec le genre de détails que requiert une diplomatie de ce type. Il est vulnérable à la manipulation et la flatterie.

Il profère souvent des menaces sans y donner suite, et fait souvent des promesses qu’il ne peut ou ne veut tenir. Et il n’est pas rare qu’il jette aux lions ses alliés. Tout ces ingrédients ne constituent pas une recette de succès, alors même que les enjeux sont énormes. »

L’ex

Celui qui a gouverné et sait (un peu mieux) de quoi il parle. Il fait généralement preuve d’une grande prudence et détaille tous les pièges de la course d’obstacles, mais sans oublier le scénario optimiste. Cela ne nous avance guère sur ce qui va se passer, mais au moins on ne pourra pas dire qu’on n’a pas été prévenus !

« Je suis très encouragé d’entendre qu’un sommet se prépare pour mai, afin de s’occuper du dangereux programme nucléaire nord-coréen », attaque Bill Perry (90 ans au compteur), ancien secrétaire à la Défense de Bill Clinton.

« C’est une avancée majeure par rapport à une diplomatie qui consistait à se lancer des insultes. » Mais, mais, mais… « De quoi allons-nous parler ? » « Et que ferons-nous pendant que nous discutons ? Les Etats-Unis et leurs alliés maintiendront-ils leur pression actuelle sur la Corée du Nord ? Et la Corée du Nord continuera-t-elle à développer et tester des missiles et armes nucléaires ? »

L’expert

Le vrai, qui planche depuis des décennies sur ce genre de sujets a rencontré de nombreux protagonistes. Il y en a, il suffit de fouiller dans les buissons médiatiques pour les trouver. Jeffrey Lewis, par exemple. Cet expert du contrôle des armes est – on respire un grand coup – directeur du Programme de non-prolifération pour l’Asie du Sud-est du prestigieux Centre pour les études de non-prolifération de l’Institut d’études internationales de Monterey.

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Qu’offre-t-il ? Un grand scepticisme à propos de cette annonce de rencontre, et quelques évidences, comme celle-ci :

« La Corée du Nord a cherché un sommet avec un président américain depuis plus de vingt ans. Cela a littéralement constitué une priorité absolue de Pyongyang depuis l’invitation lancée par Kim Jong-il à Bill Clinton.

Je me demande si les ‘conseillers’ de Trump lui ont expliqué cela. » Ou encore : « Si vous croyez vraiment que tout sommet est une bonne idée (ou que tout sommet est une mauvaise idée), alors vous êtes un idiot. »

Comme quoi on peut être expert et ne pas avoir la langue dans sa poche. Ce qui, avec des zouaves comme Trump et Kim Jong-un, sera une qualité indispensable.

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