Il n’y a pas longtemps, la planète toute entière a été scandalisée par la vente des migrants en Libye. En quête d’un monde meilleur, ces milliers de jeunes africains, en route pour l’Europe ont été pris au piège. La suite, on la connaît. L’émotion avait pris le dessus certes, mais malheureusement ce n’est que la face visible de l’iceberg sous lequel se joue un drame humain sans précédent. Il faut reconnaitre que l’immigration interafricaine est aussi importante.

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La plupart des aventures virent au cauchemar pour ces milliers de jeunes qui traversent les frontières des pays voisins ou lointains pour gagner leur vie. Naturellement, il fait mieux vivre dans certains pays que dans d’autres. Ce qui pousse ces jeunes à prendre des risques souvent au péril de leur vie.

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Comme les esclavagistes libyens, d’autres Africains se jouent de leurs « frères » en les attirant dans des réseaux mafieux, tout prenant le soin de leur faire miroiter des paradis terrestres. Ceux-ci ont trouvé un allié dans leurs bases besognes : la technologie. QNET ! Ce nom ne dit pas grand-chose. Pourtant c’est un vaste réseau « d’escrocs » qui a pris en otage plus d’une centaine de Togolais en Côte d’ivoire avec ce concept de marketing.

Nous avons enquêté sur le réseau de Lomé à Abidjan. Plus que de l’esclavage, ces jeunes pris en otage par leurs « pseudo sauveurs » vivent un véritable enfer à Abidjan, où leur rêve de devenir millionnaires est noyé dans un torrent de larmes, d’amertume et de déception.

Une escroquerie modernisée

Un petit tour sur le moteur de recherche Google sur internet nous permet d’avoir une idée sur cette structure qui se définit comme un réseau international de marketing. Elle serait une entreprise créée dans les années 1998 sous le vocable Quest-NET. Cette structure s’est révélée au grand jour en Côte d’ivoire en 2007 selon nos informations.

Aujourd’hui, les promoteurs du QNET présentent leurs activités comme un marketing de réseau. En effet, contrairement aux grandes entreprises, le QNET n’utilise pas les canaux classiques pour écouler ses produits. Les produits sont accessibles sur Internet et ne font jamais l’objet de publicité. Seulement, en dessous de cette activité se développe une véritable arnaque qui ne dit pas son nom. Il s’est mis en place un réseau en côte d’ivoire avec des ramifications ici à Lomé afin de « convoyer » des jeunes vers Abidjan et leur faire bénéficier du fameux business.

 

La plupart des victimes de cette mafia l’ont été par naïveté, par l’appât du gain facile ou attirée par leurs « frères » en qui ils ont confiance. Certains l’ont été, juste à travers des messages ventilés sur les réseaux sociaux, leur promettant une formation au bout de laquelle un emploi leur serait garanti. Au bout du tunnel, c’est la désillusion. En réalité, une fois que la victime effectue le voyage de la Côte d’ivoire pensant trouver du « boulot » « gracieusement offert » par la structure, on le met devant le fait accompli et difficile de retourner en arrière. Tout se fait presque secrètement.

Descente au cœur du réseau

Alerté par une victime du système, nous avons décidé de nous rendre sur place afin de vérifier la véracité de son témoignage. Il nous a ainsi mis en contact avec un jeune Togolais qui aussi est rentré dans le réseau il n’y a pas longtemps. Nous avons aussitôt pris rendez-vous avec le « Bureau » de la structure pour avoir d’amples informations, puisqu’en amont, personne n’est censé être au courant de l’activité qui se mène là.

Même les intéressés du business ne découvrent le nom QNET qu’une fois sur place. Nous avons pris toutes les dispositions pour préparer notre entretien. Mais un détail est essentiel. Il ne faut jamais dire qu’on connaissait l’activité d’avance. « Soyez calmes et prudents, car ces individus sont dangereux», prévient le contact.

Nous avons pris notre courage à deux mains pour nous rendre à Yopougon où se trouve le fameux bureau. Celui qui devrait nous introduire est venu nous y conduire. Déjà, il va falloir traverser un couloir plein de badauds. Là, nous avons commencé à perdre notre sang-froid et on se posait des questions sur le risque encouru. Mais, il n’était pas question qu’on reparte sans avoir une idée sur le réseau.

Déjà à l’entrée du bâtiment qui ne porte aucune inscription, nous avons remarqué la présence de jeunes Togolais s’exprimant en Ewé. L’endroit où on brasse des millions est digne d’un poulailler. Il va falloir s’enregistrer avec sa pièce d’identité chez une secrétaire, qui nous demanda avec un regard de misérable nos pièces d’identité que nous avons pris soin de laisser chez nous. Elle n’aura droit qu’à des noms inventés de toutes pièces.

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Nous avions attendu plus d’une heure avant d’être reçus pour l’entretien. Tout ce qui se passait dans ce bâtiment était manifestement louche. Mais, tout est fait pour nous mettre en confiance. Nous étions trois nouveaux à être reçus par le « coach », celui qui devrait nous ouvrir la porte au bonheur dans un temps record. Il était dans son bureau assis devant une table décolorée et assisté d’un autre « loubard » qui s’était réfugié là pour échapper à quelqu’un qui le recherchait activement dans le bâtiment.

Nous devrions nous présenter à nouveau. Le coach est Togolais aussi et présentait l’air d’un vrai « faux ». Mais il a tout pour charmer. Il a pris un ascendant sur le groupe excepté nous qui ne croyions guère aux inepties qu’il nous chantait. Il nous présenta longuement l’affaire, avec à l’appui un document et des exercices.

En résumé, il fallait, pour commencer le business avancer une somme de 500.000 F CFA pour payer des produits et revendre tout en constituant son propre réseaux. Si on excelle en amenant, un grand nombre de personnes dans le réseau, nous devrions être payés à plus de 300.000F CFA toutes les deux semaines. Nous avons pris soin d’enregistrer le fameux coach à son insu. Il nous a demandé si nous étions intéressés par « l’affaire », ce à quoi nous avions tous répondu par l’affirmative. Quel monde merveilleux !

Après ce lavage de cerveau, nous devrions passer à l’ultime étape qui va nous permettre de prendre une décision. On nous a fait monter à l’étage pour rencontrer une fille qui devrait à son tour nous mettre en confiance. Elle est Ivoirienne, la vingtaine environ. Son habillement laissait à désirer.

Un peu plus loin dans une salle de classe de deux mètres carrés, nous apercevons une fille (nouvelle), qui recevait aussi le cours d’un autre coach, vendeur d’illusions. Au tableau, on ne pouvait lire que des millions écrits avec un marqueur bleu. Reste à les enlever du tableau pour les mettre dans la poche. Ce qui n’est pas évident.

« J’ai une copine qui est rentrée dans ce business, aujourd’hui, elle a sa propre voiture et vit dans sa maison. Ne vous laissez pas distraire par ceux qui vous font croire que c’est une arnaque. Ils n’ont pas la vraie information », lâcha notre interlocutrice. Nous avons juste eu envie de l’envoyer se balader.

Comment on peut être une société qui engrange des millions et ne pas avoir un siège digne de ce nom ? Pourquoi des gens qui gagneraient des millions sont tous malheureux ? Autant de questions qui nous revenaient à l’esprit. Au finish nous avons donné notre accord de principe pour revenir dans un bref délai pour commencer l’activité. Elle était toute enthousiaste, puisqu’il y a « un crédule » qui vient de mordre à l’hameçon.

La centaine de Togolais qui sont pris en otage par ce réseau mafieux vivent dans une condition déplorable. Ils sont entassés dans des chambres comme des sardines. C’est avec difficulté qu’ils arrivent à se nourrir. « Parfois on mange du riz sans sauce », confie l’un des Togolais à Youpougon. Les jeunes continuent d’affluer et sont entassés dans un garage. Cette activité se mène-t-elle avec la complicité de certaines autorités administratives ? Tout laisse à le penser puisque les plaintes déposées par certaines victimes de l’arnaque sont restées sans suite.

Témoignage d’une victime

Nous étions en juillet 2017, lorsqu’un ami nous confia qu’il allait partir en Côte d’ivoire, pour une formation en génie civil. Il a été lui aussi emballé dans cette aventure par une connaissance qui lui a fait miroiter des choses merveilleuses. « Je suis parti de Lomé le 15 octobre 2017 et j’ai rallié Abidjan par la route. Avant de partir, j’ai dû contracter des prêts pour rassembler les 500.000 FCFA représentant le coût de la formation.

J’étais tout heureux d’avoir fini avec la misère. J’ai choisi pour ma formation la branche mine et pétrole une fois sur place. J’ai activé mon contact, une fois et en Côte d’Ivoire, il m’a donné les directives pour que je regagne Yopougon où se trouvait la « luxueuse » résidence où je devrais loger.

 

Mais là, je retrouve plusieurs de mes amis. Parmi eux, il y a un enseignant qui me confia qu’il gagnait 200.000 FCFA au Togo, mais qu’il a abandonné son travail pour venir ici et qu’il gagne beaucoup mieux. Un second me dit que lui, il fait le Laboratoire. Je suis alors mis en confiance et rassuré.

Je suis allé m’inscrire. Je leur ai remis 500.000 FCFA et c’est après cela que je suis mis devant le fait accompli. Je me suis rendu compte de l’escroquerie. Ils m’ont fait signer un dossier dont je n’ai pas été autorisé à lire le contenu. Ensuite, ils m’ont donné rendez-vous le lendemain pour un entretien et c’est là qu’ils me font connaitre le fameux QNET. J’étais très furieux.

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Je leur ai dit que j’étais là pour une formation et non pour le QNET. Lorsque je me suis rendu compte que c’était un réseau d’escrocs, j’ai réclamé séance tenante mon argent et il s’en est suivi de houleux échanges. Celui qui m’a fait venir en a eu pour son grade.

Ses supérieurs lui ont même demandé où est-ce qu’il m’avait trouvé. Après plusieurs tractations, je suis rentré dans mes droits et ils m’ont viré de la résidence, une vraie porcherie », a-t-il raconté.

Plusieurs jeunes Togolais continuent d’affluer en Côte d’ivoire pour cette activité. Certains par peur n’ont plus donné de signe de vie à leurs parents ici à Lomé. Il urge que les autorités togolaises mènent leurs propres enquêtes pour démanteler ce réseau de malfrats qui se sucrent sur le dos des compatriotes en quête de gain facile.

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