S’il existe un pan de la vie publique togolaise qui reflète une réelle opacité atypique à la gestion nationale, c’est bel et bien la gestion des produits pétroliers. Plus le temps avance, plus la vérité se dégage sur la gestion de la manne pétrolière.

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Il faut aller au-delà des récents événements pour comprendre le comportement des autorités face à l’or noir. Nous mettons, du coup, à contribution, le résultat partiel d’une épineuse enquête que nous avions fait dans le monde pétrolier togolais pour vous aider à mieux cerner la réalité, la triste par rapport à l’actualité pétrolière au Togo.

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Depuis le mardi 28 février 2017, les prix des produits pétroliers connaissent effectivement une nouvelle augmentation à la pompe. Selon un communiqué du gouvernement, cette augmentation des prix est motivée par la hausse des prix à l’international. On dirait qu’elles ont un environnement international différent de celui des autres pays. Dans la note conjointe des ministres en charge du Commerce, de l’économie et des Finances puis des Mines et de l’énergie, l’autorité togolaise estime que cette hausse répond à la politique de vérité des prix mise en place. C’est sur cette base que le super sans plomb sera désormais vendu à 524 FCFA contre 476 Francs précédemment, soit une augmentation de 48 francs CFA. Le gas-oil qui coûtait 478 francs le litre sera vendu à 526 francs, soit une hausse de 48 Francs également. Le pétrole lampant qui était de 425 francs, coûtera 468 francs CFA, soit une augmentation de 43 francs CFA. En ce qui concerne le mélange à deux temps, il connaît une hausse de 44 Francs et se vend désormais à 623 francs au lieu de 579 francs.

Cette hausse des prix se fait un mois seulement après la dernière hausse du 27 janvier dernier

Le régime en place est sclérosé, il a perdu tout repère et ne voit plus que devant son nez dans la prise des décisions. Il n’arrive plus à porter les gans, tout est sens dessus-dessous. Les réseaux d’intérêts se sont divisés l’économie nationale et chacun gère sa part du lègue au gré de ses besoins. Peu importe les méthodes, c’est le bénéfice à tirer qui justifie les moyens. Le secteur qui meuble l’actualité ces moments-ci, est donc la manipulation de l’or noir. Toutes les acrobaties sont bonnes pour que de l’importation à la distribution en passant par le stockage, l’environnement couvert par l’or noir continue par être un ‘‘Nomansland’’ où se bousculent les intérêts au prix du labeur des citoyens.

Il y a quelques mois, une ONG suisse de renommée, du nom de ‘‘Public Eye’’, révélait un scandale pétrolier en eaux profondes togolaises. Cinq mois avant le rapport de l’ONG suisse sur le scandale du pétrole toxique en eau profonde de notre pays, sans aller dans les détails, notre directeur de publication annonçait sur les ondes de ‘’fréquence 1’’ que « la plus grande partie des produits pétroliers consommés au Togo est un cocktail frelaté, fruit d’un trafic nocturne entre la mer en eau profonde et le port de pêche de la capitale». Mais pendant que nous cherchions difficilement les moyens pour boucler ce dossier, des structures plus imposantes y ont investi une énergie conséquente pour sortir la vérité de la mer à travers une minutieuse investigation.

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Si nos investigations nous ont permis de plonger dans les secrets du brigandage de la vie économique dans le domaine pétrolier, la face mondiale du trafic nous restera méconnue jusqu’au jour où ‘’Public Eye’’ décide de publier son rapport de 160 pages. La respectable Organisation Non Gouvernementale a fait le boulot en publiant un rapport sur la face mondiale d’un trafic inédit. Le rapport était sans équivoque. La face hideuse d’un scandaleux commerce, sur une mer noire à quelques coups de pagaies des côtes togolaises est dévoilée. Coup de chapeau à l’ONG. Même si étant donné que le trafic se faisait aux larges du Togo, il aurait été mieux que les experts de l’ONG visitent le Togo comme ils l’ont fait au Ghana voisin. Ainsi, de la zone Amsterdam-Rotterdam-Anvers, ARA, aux 8 pays africains desservis, les liaisons internationales de la pratique sont dévoilées.

Mais les Togolais sont restés sur leur soif par rapport à la face togolaise du scandale. C’est cet aspect qui a focalisé nos investigations même si, de par les acteurs mis en jeu, nous ne pourrions pour le moment pas vous publier tout ce qui a pu être collectée comme informations pour des raisons de sécurité personnelle. De toute évidence, nous prenons déjà assez de risques pour en ajouter et nous ne sommes pas de ceux qui pensent qu’ « un bon journaliste est un journaliste mort ».

Toutefois, avec les dernières évolutions sur les prix des produits pétroliers, nous estimons qu’il est grand temps de vous servir un aspect d’un dossier aux multiples inconnus.

La plongée dans les eaux noires

Le rapport suisse est donc venu confirmer ces informations et nous encourager à terminer les investigations même si tout n’est pas à publier. On sait désormais à quoi ressembles les décideurs togolais quand ils s’invitent dans le juteux jardin de l’or noir. Au pays de la patience, c’est le temps qui soigne tous les maux.

Depuis que ce scandale en eau profonde est révélé, les bateaux tankers et autres pétroliers qui mouillaient sur les 50 km de côtes togolaises se font un peu désirer. Et l’opinion croit à tort que le scandale est fini, non. Dans le cas togolais, le rapport suisse, loin d’avoir guéri le mal, n’a pu que le déplacer de la mer à la terre ferme. Désormais sur orbite, ces trafiquants n’ayant plus un avenir certain en eau profonde semblent revenir en terre ferme pour garder leur marge de manœuvre dans les activités pétrolières. Et c’est ça qui justifie les augmentations anarchiques des prix sur le pétrole où on parle au nom du gouvernement sans le gouvernement.

En réalité, c’est un réseau qui décide. Un baron encore en activité autour du prince héritier a déclaré, suite aux derniers événements : « C’est sur WhatsApp que certains ministres ont été informés des nouveaux prix». Mais on vous dira officiellement que le gouvernement est auteur des prix.

De toute évidence, depuis que la mer en eaux profonde n’est plus une destination sûre pour le trafic, l’activité se déplace à la pompe avec un autre visage, l’essentiel est que les bénéfices tombent. Le réseau qui gère le pétrole a goûté aux délices de l’or noir et il n’est pas prêt à céder à quoi que ce soit. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si c’est en ces périodes que l’emblématique pétrolier ‘’SHELL’’ est présentement renvoyé du territoire togolais. Ses stations-services sont désormais dépourvues de ses logos et marques distinctives puis gérées sous administration transitoire d’un an par les traditionnels gérants. Après cette transition, une société, très proche de la minorité dirigeante prendra la relève.

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Évidemment, le trafic dénoncé par l’ONG a permis aux importateurs togolais de découvrir qu’il fait beau de ‘‘surfer’’ sur le business pétrolier. Du coup, ce pétrolier, qui d’ailleurs n’était pas un saint et qui avait maillé presque tout le pays, est renvoyé. Peut-être demain un autre suivra. Les actionnaires se choisissent déjà présentement pour se partager les parts de SHELL. Après avoir mis en faillite l’exploitation des ressources minières, le port et autres sociétés d’État, l’or noir reste encore une aire pleine d’avenir d’où ils peuvent se sucrer au dos des populations sans inquiétude. Ils le font à merveille grâce au silence maladif d’une population sans grands repères. C’est dans ce cadre qu’il faut comprendre les deux dernières majorations sur les produits pétroliers au Togo. En un mois, deux majorations spectaculaires que rien ne justifie.

L’environnement international

Sur le plan international nous n’avons trouvé aucun indice qui justifie cette majoration contrairement aux arguties avancés par la majoration récente. Il est fondé en effet, une unité de mesure traditionnelle datant du XIXe siècle, le baril. Un baril équivaut à 159 litres. Même s’il est de plus en plus fréquent que le pétrole soit de nos jours transporté en vrac par oléoducs, tankers ou encore par trains, cette unité reste la référence commerciale.

Les cours du baril de pétrole brut ont connu au fil des décennies des évolutions considérables. De 1860 à 1940, les prix du baril ont oscillé selon les bouleversements mondiaux, grimpant pendant la première guerre mondiale, baissant pendant la crise de 1929. Entre 1948 et 1970, ils sont restés relativement stables et bas, avant d’entrer dans une série de crises, appelées « chocs pétroliers ». Le « premier choc pétrolier » s’est dessiné en 1971 au moment de l’abandon du système financier international de Bretton Woods. Il s’est amplifié en 1973, lors de la guerre du Kippour, lorsque les États producteurs de pétrole du monde arabe annoncèrent un embargo contre les pays soutenant Israël. En un an, le prix du baril fut multiplié par quatre.

La révolution iranienne en 1978 puis la guerre Iran-Irak en 1980 provoquèrent le « deuxième choc pétrolier » avec un doublement du prix. Le « troisième choc pétrolier » désigne un mouvement de hausse qui a commencé en 2003, poussé par la demande croissante des nouvelles économies telles que la Chine, l’Inde, le Brésil pour se limiter à un échantillon.

À l’été 2014, les cours s’effondrent, tombant en dessous de la barre des 50 dollars lorsque s’ouvre l’année 2015. La cause principale en est un excès d’offre alimenté par la production de pétrole de schiste aux États-Unis. Décidée à défendre ses parts de marché, l’Arabie Saoudite maintient les niveaux de production de l’OPEP. Elle entend ainsi obliger les producteurs de pétrole de schiste américains à réduire leur propre production. Un « bras de fer » s’engage. Le cours du Brent passe sous la barre des 30 dollars le baril en janvier 2016, le plus bas niveau depuis 2003. À partir de février 2016, les cours ont remonté jusqu’à atteindre 50 dollars en juin, grâce notamment à une décision de l’Arabie Saoudite, du Venezuela, du Qatar et de la Russie de geler la production. Ces mouvements de baisse ont fait décroître les investissements. Ceci risque d’hypothéquer la disponibilité du pétrole dans les prochaines années et entraîner en retour des hausses substantielles de prix.

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En attendant, les prix de pétrole sont soumis à la géopolitiques, aux décisions des pays producteurs, aux innovations technologiques qui agissent sur le rendement financier des exploitations, aux cycles de l’activité économique mondiale. Et les consommateurs devaient normalement continuer à profiter de la situation actuelle en attendant cette éventuelle hausse.

Il faut rappeler que, à mi- 2016, pendant que le baril se négociait à plus de 130 dollars, le super sans plomb, par exemple, se vendait à plus de 600 F CFA à la pompe au Togo. De nos jours, le baril est à moins de 50 dollars mais le litre du même super est à 524 à la pompe, comparez vous-mêmes.

La drogue des pipe-lines

Dans les pays comme le nôtre, l’or noir est devenu la drogue des temps modernes. Ainsi, l’instinct de conservation des autorités en place ne laisse aucune chance à la lutte pour la survie des populations. La diplomatie fonctionne en plein régime pour donner une autre image au pays, mais de la mer au continent, en passant par les réseaux de distribution de l’essence, les objectifs ne sont pas identiques d’une couche sociale à l’autre.

Historique d’un atout plombé

Nous étions dans les années 70, la guerre du Biafra entretenait encore l’actualité. La France crée la CEAO, Communauté Économique de l’Afrique de l’Ouest. Celle-ci soutient les sécessionnistes Ibo au Nigeria. Étienne Eyadema est déjà président du Togo et l’un des rares appuis du Nigeria fédéral de Yakubu Gowon. Il sert de partenaire stratégique. Même les armes ont transité par Lomé pour Lagos. Dans la foulé, celui qu’on finira par baptiser ‘’le père de la Nation’’ envoie Edem Kodjo auprès de son homologue nigérian éprouvé par la guerre. Il fallait créer la CEDEAO. L’idée a germée au Togo, elle prend corps au Nigeria. Ce dernier regroupement aidera le Nigeria à gagner la guerre contre ODJOUKU.

Entre autres dispositions pour encourager les adhésions à la CEDEAO et décourager la CEAO, tous les États membres, à commencer par le Togo, avaient des avantages inouïs dans les puits pétroliers nigérians. Entre autres, les pays membres avaient « un crédit fournisseur’’ de 90 jours », c’est-à-dire, quand ils achètent leur pétrole au Nigeria, ils avaient trois mois pour payer après enlèvement des barils. La NNPC, Nigerian National Petrol Company, a reçu des instructions fermes pour faire des largesses aux États membres de la CEDEAO. La CEAO est essoufflée et fini par disparaître après plusieurs démissions au profit du nouveau-né du couple Eyadema-Yacubu Gowon.

Au même moment, le monde venait de sortir de la première crise pétrolière de 1973. Les États africains prennent des mesures pour être à l’abri d’une autre crise, voici donc une aubaine à saisir. Le Togo se fait le devoir de monter une raffinerie en comptant, bien sûr, sur le brut nigérian et les avantages y afférant. Le Togo devait raffiner le pétrole Nigérian non seulement pour sa consommation nationale mais aussi au profit des pays de l’hinterland. Une raffinerie, montée à 11 milliards de CFA pour une capacité annuelle de 1 millions de tonnes de brut est installée.

Commencée en 1974, les travaux de la raffinerie dureront 3 ans. Mais le projet ne semble pas avoir été bien réfléchi. De l’avis des spécialistes à qui nous avions tendu le micro, une raffinerie est une lourde machine techniquement et financièrement parlant. Quand elles sont lancés, il faut au moins un mois pour que tous les compartiments rentrent en fonction. Il faut alors s’assurer d’avoir en permanence le brut-non-stop, pendant au moins 5 ans avant de lancer la machine. Étouffée dans l’œuf par les difficultés diplomatiques avec le Nigeria, des salaires démesurés d’un personnel pléthorique et peu qualifié, les syndromes de la faillite des sociétés d’état, la raffinerie ne fonctionne en plein temps que de 1978 à 1981. Un éléphant blanc de plus venait de naître.

Au Nigeria, les lignes bougent, les présidents se succèdent sur fond de brouilles diplomatiques et les avantages accordés aux membres de la CEDEAO sur le pétrole du Nigeria tombent les uns après les autres. Le Togo, le seul pays qui, sans être producteur, a compté sur le brut nigérian pour installer une raffinerie prendra un terrible coup. Notre pays n’achète plus au Nigeria. Mais déjà on s’est endetté de 16 milliards CFA face au géant fournisseur.

Toutefois, un premier allégement de la dette, consécutif à la coupure de la coopération avec le Togo, réduit l’ardoise à 11 milliards. Ensuite un second, sous Faure Gnassingbé, à 5 milliards, mais jusqu’à un passé récent rien n’a toujours été fait pour effacer cette dette restante.

L’unité de traitement de l’or noir est, quant à lui, totalement essoufflée. Mais ses cuves avec une capacité de stockage de 240.000 m3 deviendront un dépôt côtier loué au pétrolier SHELL et suivi dans un premier temps par une commission interministérielle. D’un demi-milliard de dividendes la première année, la location des cuves gérées par la commission interministérielle générait un milliard et demi quand elle est transformée en une société d’économie mixte. On y compte dans la nouvelle gérance des investisseurs togolais, SHELL et l’État togolais. Qui se cache derrière cette gestion scabreuse qui, bien qu’elle aussi ait démontré ses limites dès les premières années, a résisté aux aléas ? Il y a quelque mois que SHELL s’est vu retirer la gestion des cuves de la raffinerie. L’on nous fait comprendre que c’est un pan stratégique de la vie nationale. Il faut noter que, longtemps géré par SHELL, la STSL est un dépôt côtier pour plusieurs pays, pendant que la STE reste un dépôt pour le besoin national.

Le trafic en mer qui bloque toute relance de la Raffinerie de Lomé

Tout récemment, entre fin 2008 et début 2009, une société nigériane du nom de ‘’UNIGLOBAL’’ se pointe et ouvre les négociations avec le Togo. La raffinerie a trouvé preneur. Elle devait être réhabilitée, le ministre Damipi Noupokou des Mines de l’énergie et de l’Eau ayant avancé avec le Nigérian basée en Sierra Leone. Celui-ci s’engageait aussi à effacer les 5 milliards de dette entre le Togo et son pays. Le Business pétrolier entre le Togo et le producteur nigérian devait reprendre. Le Togo pouvait renouer avec l’approvisionnement chez le voisin et donc faire tomber les prix quand on sait qu’à un moment donné, les pétroliers togolais s’approvisionnent jusqu’au Venezuela. Mais les magnas du pétrole empêchent le Nigérian de reprendre la raffinerie malgré l’aval du gouvernement. Leurs intérêts sont ailleurs, peut-être sur la mer. Pour les produits pétroliers bruts, le marché international a trois grands pôles d’approvisionnement, Londres, New-York et Singapour. Mais les produits finis existent partout car la politique commerciale est de s’approcher de plus en plus des consommateurs. Après le clash avec le Nigeria, les pétroliers togolais se seraient tournés vers la Libye mais après le départ de Kadhafi, ils doivent avoir côtoyé le milieu arabe.

Le ver dans le fruit

Par souci de transparence, à la lumière des normes internationales, un État ne peut pas être à la fois fournisseur et fixateur des prix. Ce sont les pétroliers qui achètent et l’État fixe les prix en tenant compte des marges bénéficiaires, les fluctuations du baril, le lieu d’approvisionnement, les taxes et autres. Normalement, pour fixer les prix, il y a trois grands volets à considérer.

  • Il y a le FOB, Free On Board, c’est-à-dire le prix à l’usine. Le FOB se dit d’une transaction commerciale maritime dans laquelle le prix convenu comprend les frais que supporte la marchandise jusqu’à son chargement sur le navire désigné par l’acquéreur.
  • Le FRET, c’est la rémunération due par l’affréteur, ou expéditeur de marchandises, pour le transport de marchandises par un navire, avion, camion, ou par chemin de fer. Le coulage est la perte de marchandises due au vol ou au gaspillage ou encore aux évaporations.
  • Le tout accouche de la CAF qui se dit d’une vente maritime dont le prix convenu comprend, outre le coût de la marchandise, le transport jusqu’au port de destination, assurance comprise, le prix du transport (assurance, et autres) et enfin les pertes sur la mer (évaporation et autres fuites liées au déplacement des produits). Le prix CAF est un aspect important dans la structure des prix.

Quand la transparence se joue sur ces aspects, on peut croire en un début de vérité des prix. Mais le contenu et les évolutions liés à ces terminologies n’existent que de nom dans nos structures des prix. Ce volet est occulté car les ‘’sorciers’’ du business pétrolier ne veulent surtout pas que les populations sachent d’où ils importent. Par rapport à la prétendue « vérité des prix », la cellule qui gère le pétrole opère comme une secte. La fameuse commission prend toutes les dispositions pour rendre la fixation des prix la plus opaque possible.

Quand un pays est juge et parti

D’après les informations recueillies auprès des experts d’un géant pétrolier de la place et de certains pétrochimistes indépendants, qui nous ont parlé sous couvert de l’anonymat, « avant 2008, ce sont les sociétés pétrolières qui importaient et l’État suit la fixation des prix». Ainsi, quand les produits sont livrés, pour que l’État ne se trompe pas, il existe une cellule pour le suivi. Il y avait donc une cellule interministérielle à cette fin. Mais à un moment donné, sans crier gare, la cellule de suivi est devenue importatrice sur la base d’un conflit survenu dans les activités pétrolières. L’État togolais est donc juge et partie par le truchement de l’ex-cellule de suivi devenue importatrice.

La structure étatique qui importe jusqu’ici est logée au premier étage du ministère du commerce. Monsieur Adjakali, est le maître du couvent. Formé en Chimie organique, il a d’abord travaillé à CIMAO avant de parachuter à SHELL d’où il se retrouvera actuellement le prêtre des dieux du pétrole. En retraite depuis des années, il gère ‘’le Sésame’’ avec son propre fils. A côté, un autre fils veille au grain, le fils à Barry Moussa Barqué. C’est ainsi que, si aux débuts le Togo avait des pôles d’importation bien connus, depuis un temps, la quasi-totalité des produits pétroliers consommés au Togo sort d’une nébuleuse. L’État achète principalement les produits pétroliers auprès de ‘‘Trafigura’’, un ‘‘trader’’. Ce ‘‘marcketeur’’ est l’un de ceux qui sont épinglés dans les mélanges toxiques en eaux togolaises pour la sous-région.

Et pourtant, dans les normes reconnues par la banque mondiale, un pays n’achète pas les produits pétroliers gré à gré. C’est après un appel d’offre international que le fournisseur est désigné pour tous produits confondus. L’opacité est totale, il est même arrivé un temps où, le sieur Adjakli fut interpellé par des services de sécurité togolaises afin qu’il s’explique sur la gestion de son département. Les petits dieux de l’or noir vous diront qu’ils lancent les appels d’offre pour la fourniture des produits. Mais la grande surprise est que c’est toujours le même marqueteur qui arrache les marchés, une forme de marchés bloqués, ne cherchez pas à en savoir plus. Dans la pratique, les pétroliers peuvent utiliser ‘‘l’achat à terme’’, où ils achètent une certaine quantité à livrer dans trois mois, ou encore ils utilisent ‘’le marché spot’’ qui est un achat de jour le jour selon les besoins.

La mafia en eau profonde

Le rapport de l’ONG a été sans équivoque, « des mélanges toxiques dangereux, mais non interdits, se font en eaux profondes sur la côte togolaise pour 8 pays africains et le Togo».

En effet, pendant des années l’activité a tourné en plein régime et des dizaines de bateaux étaient toujours en attente pour être servi. Mais au-delà de ce volet international, c’est la branche togolaise de cette activité qui nous a poussées à faire cette enquête.

D’après nos enquêtes, le trafic des produits pétroliers de la mer vers le consommateur togolais commence aux environs de 20 heures. S’il est vrai qu’il existait des bateaux qui accostent régulièrement au quai pétrolier et dépotent leur contenu de manière légale, il est autant vrai que d’importantes quantités des mêmes produits sortent nuitamment de la Mer par le port de pêche. Présentement est-ce que le trafic est totalement arrêté ? Il y a des doutes, mais ce qui est sûr est que l’activité a pris un sérieux coup depuis le rapport de l’ONG. Les deux canaux d’approvisionnement du pétrole, soient-ils officiel par le quai pétrolier ou officieux par le dépotage en eau profonde, sont malheureusement alimentés par le réseau des marqueteurs qui mouillent dans les eaux profondes togolaises. Une petite partie passe par les canaux officiels, une autre par une véritable contrebande nocturne entre la mer et la terre ferme. Toute destination confondue, et selon l’envergure des pétroliers en activité, il arrive des jours où les tankers pompent des dizaines de milliers de litres dans nos eaux.

Pour la filière qui sort illégalement par le port de pêche, c’est le cash-and-carry. Les camions citernes remplis commencent par sortir déjà aux environs de 22 heures en direction de certaines stations d’essence. Dans le rapport des stations d’essence togolaises ont été citées. S’il n’est pas exclu que les transactions licitent utilisent ce canal, le port de pêche est la sortie principale des citernes qui transportent vers les stations le carburant frelaté dépoté en pleine mer. Pendant ce temps, toute une unité des corps habillés traque les petits vendeurs de ‘’boudè’’ alors qu’au-delà des frontières terrestres, une bonne partie de cette substance combattue vient de la mer. Quand le mélange se fait en eau profonde, les autres bateaux étrangers sont servis pour approvisionner 8 pays de la sous-région. Le reste est vendu au Togo pour la consommation nationale. C’est le cash and cary. Le business était très rentable. La quasi-totalité des bateaux qui attendaient sur les eaux togolaises ne transportaient pas du fret en direction du Port autonome de Lomé, mais des produits pétroliers. La mafia a tourné depuis des années.

A un moment donné, le Togolais se faisait une interprétation erronée quand il voit cette ribambelle de bateaux en attente à nos côtes. Les profanes pensaient que ces bâtiments flottant étaient en attente au Togo parce que les eaux togolaises étaient les plus sécurisées de la sous-région. Faux, ils attendaient pour se partager un poison lent, le carburant aux mélanges hors normes. Une fois le mélange toxique fini, la nouvelle composition est transvasée dans les autres navires qui prennent leur direction. Les sources nous ont confirmé que personne ne perçoit les impôts sur cette activité internationale au Togo.

L’indifférence complice du port autonome de Lomé

Du moment où l’activité est maritime, quel rôle a joué le port autonome de Lomé ? Dans nos enquêtes, le courrier dont le contenu suit a été adressé à la direction du port. « Est-ce que le port a connaissance des activités pétrolières en eaux profondes togolaises ? Depuis quand remonte l’activité ? Combien de bateaux sont passés par là ? Est-ce qu’ils versent quelque chose à la caisse du port, si oui, combien ? ». Mais nous n’avons pas eu de suite. Toutefois, les sources officieuses au port nous ont renseigné que le port n’a pas la maîtrise de tous les navires qui mouillent en eau profondes étant donné que ce n’est pas la marine marchande qui gèrent la sécurité de ces bateaux mais plutôt la base marine encore appelée base navale. C’est donc ce département qui relève de la défense nationale qui a les moyens avec les patrouilleurs pour exercer le contrôle en eaux profondes.

Au début, le port avait un contrôle un peu poussé sur leur présence. « Il est arrêté que chaque navire paie 1.500.000 FCFA par quinzaine de stationnement sur les eaux togolaises. Si un navire fait un jour de plus au-delà de la quinzaine, il paie 3.000.000 FCFA et le paiement se fait à la caisse du port. Mais à un moment donné, ce qui s’y passe est devenu de plus en plus une chasse gardée pour certains et le contrôle du port n’est plus que limité. Mieux, c’est devenu un grand marché occulte». On y recense des pétroliers qui transportent des produits pétroliers de différents combustibles, des gaziers qui transportent différentes sortes de gaz, des bitumiers qui transportent le bitume.

Selon la destination finale du navire, c’est-à-dire le produit qu’il est appelé à transporter à un moment donné, un pétrolier peut subir un lavage des maisons spécialisées pour se convertir en gazier, bitumier et vice versa. Ceux qui passent sur les eaux togolaises sont des tankers, ou bateau citernes, de grande capacité qui arrivent remplis et des petits ou moyens navires qui arrivent vident et transbordent des mélanges opérés dans les tankers. Une fois le transbordement terminé, ils prennent la destination d’autres pays. Le reste est versé en territoire togolais par plusieurs canaux. La quasi-totalité des navires qui arrive ne rentre jamais au port marchand de Lomé. C’est grâce aux radars et services de contrôle que le port arrive à savoir que tel ou tel type de bateau est arrivé à telle ou telle autre date. C’est ainsi que, le nombre de bateaux toujours en attente varie d’une date à l’autre.

De la côte, les bateaux visibles en transbordement ou en attente de transbordement varie de 50 à 100. On a une moyenne de 70 bateaux et le vendredi 29 septembre 2016 à 21 Heures GMT, le contrôle aérien des images radars nous ont permis de dénombrer 70 bateaux citernes et transbordeurs confondus, en attente. Depuis le temps que l’activité a duré, le minimum journalier de bateaux qu’on pouvait compter était de 50. La plupart de ces navires arrivent et quittent de là sans appeler le port. C’est par les systèmes d’écoute maritimes et les images radars que la capitainerie du port arrive à savoir qu’ils sont là.

Les risques sont énormes pour la santé des populations et le danger immédiat est à tout moment présent. C’est ainsi qu’un navire du nom de ‘’AFRODITE’’ a pris feu dans un passé récent lors d’une opération de transbordement. Heureusement que les flammes ont été vite maîtrisées et que l’explosion entendue jusqu’aux côtes n’est pas celle d’une citerne, cela aurait causé un dégât écologique comme en Côte d’Ivoire.

Le côté clair-obscur d’un trafic

L’activité entraîne toute une chaîne d’affaires. Quand les bateaux quittent les pays d’origine, les affréteurs appellent des agences de sécurité privée maritime au Togo pour prendre les dispositions afin de sécuriser leur séjour. L’agence de sécurité ne pouvant pas être autorisée à avoir des armes pour faire la sécurité sur la mer, elle signe un contrat avec l’armée togolaise. De là, une fois qu’un besoin de sécurité lui est introduit par un affréteur, elle exprime à son tour le besoin à l’armée nationale qui met à sa disposition 4 agents par bateaux. Un agent de la gendarmerie, un de la marine, un militaire et un de la GILAT. Cette dernière est une unité spéciale entre-temps levée pour la sécurité présidentielle mais après le besoins ne s’est plus fait senti de ce côté.

Une opération coûte 4000 dollars à l’affréteur, l’agence de sécurité verse à l’armée sa part et retient son bénéfice. Tout se fait sous haute surveillance militaire. Mais les sources militaires que nous avions rencontrées ont laissé entendre que leur rôle est l’intégrité des navires contre d’éventuels pirates, le contenu du transbordement n’est pas leur préoccupation. A la date où nous récoltions ces informations en milieu militaire, onze contrats étaient déjà signés par l’armée togolaise à des structures privées pour la sécurité sur la mer. Jusqu’ici, rien de scandaleux, car d’après nos recoupements dans les activités maritimes d’une bonne partie des pays, c’est l’armée qui assure la sécurité des bâtiments flottants à partir d’une certaine distance de la terre ferme. Ce qui se payait même pour des fins sécuritaires n’était qu’un menu fretin par rapport aux bénéfices indus que le trafic lui-même engrangeait.

Qui est l’interlocuteur direct, le parrain de ce trafic sous régional sur la Mer ?

Pour le moment contentez-vous de ce que le terrain nous permet de divulguer. Au moment où nous plongions dans les eaux profondes pour réunir les infos, l’unité de mesure, le litre de super par exemple, se négociait sur la Mer entre 150 et 200 FCFA pendant que la même unité se vendait à plus de 600 CFA à la pompe pour le consommateur final. Les camions citernes qui attendent au port de pêche sont servis et se dirigent vers des stations-service. Les trafiquants se remplissent les poches, les agents de sécurité ont aussi leur part du gâteau. Le choix des agents était très sélectif, tant la mission de deux ou trois jour en mer, si elle était risquée, elle était aussi rentable.

Du retour de la mer, certains agents de sécurité échangent souvent les billets verts en CFA devant la grande mosquée du port. Mais tous les agents ne sont pas logés à la même enseigne. C’est ainsi qu’il arrive que des agents soient en poste sur un maillon de la chaîne sans savoir ce qui se passe. Le cas de ce gendarme qui, chef de poste de son état, a fermé à clé l’entrée du port de pêche pour aller manger dans les environs alors qu’il est 22 heures, heure fétiche pour le trafic. Les citernes s’alignent pour sortir, mais les grilles sont verrouillées. Il a fallu remuer terre et ciel pour le retrouver avec la clef. Le monsieur ne savait pas qu’il y avait des camions citernes « signalés » qui devaient rentrer ou sortir. Ce fut une altercation qui n’a pas été facile à gérer entre le pauvre chef de poste et le reste des agents apparemment initiés.

Les activités connexes

C’est tout un marché noir qui s’anime dans des nuits noires distillées de phares sur la mer et des allers-retours des petites embarcations qui jouent le rôle de liaison. A propos, il faut dire que l’approvisionnement de l’équipage en besoins de bord est un autre business que gèrent des petits engins flottants. Au-delà des quantités livrées parfois eux aussi échangent leurs prestations et livraisons de produits de première nécessité contre quelques bidons de produits pétroliers. Plusieurs activités lucratives sont donc liées à ce business.

Outres les sociétés de sécurité privées et l’armée dont les entrées sont largement insignifiantes par rapport à l’activité pétrolière elle-même, d’autres sociétés de prestation sont très présentes dans les eaux au chevet des bateaux. Certains y sont avec de très gros remorqueurs pour stabiliser les bâtiments. Elles utilisent ses remorqueurs pour assister les bateaux, avec leur défenses, c’est-à-dire, les par chocs qui permettent aux navires de se toucher sans grand risque.

Il y a aussi et surtout la très lucrative activité des ravitailleurs. Ce sont ceux qui achètent les ravitaillements aux équipages. Il se révèle que les équipages utilisent ou les agences maritimes, ou les armateurs ou encore les affréteurs pour lancer les commandes de ravitaillement en vivres et autres pièces dont ils ont besoin sur le continent. Les avitailleurs à leur tour louent les petits bateaux et chalutiers très présents dans la zone du port de pêche pour aller livrer la commande en mer. De bateau en bateau, en un rien de temps, les ravitailleurs livrent leur marchandise aux clients. Ils font de grands bénéfices sur les rapports des prix et les combinent sur les factures. Un capitaine de bateau peut commander 2 millions de marchandises pour son équipage et demander aux ravitailleurs de facturer à 5 millions et ils se partagent la différence. Ce n’est que la face émergée de notre dossier.

Depuis que les sources de revenue se tarissent faute d’une gestion scabreuse, les autorités pensent aux secteurs porteurs. C’est du Togo que les pays de l’hinterland prennent leurs commandes pétrolières. Il faut remettre les cuves de la raffinerie dans leur traditionnel rôle de stock stratégique sous régionale, SHELL est renvoyé. On aurait pu dire bravo, si l’on avait la certitude que la prochaine gestion des cuves profiterait aux Togolais ordinaires. Le départ de SHELL laisse un double héritage, la gestion des stations-service et les cuves. A défaut de prendre le pétrole à 15 km de la côte pour revendre très cher et engranger les bénéfices, il faut des majorations anarchiques même si le baril continue par tomber.

« Qui a bu boira », ils ne lâcheront plus ce secteur et d’autres surprises arrivent. Quelles sont les personnalités qui se sont longtemps cachées derrière ce crime sous régional en eau profonde contre le Togo ? Quel contrôle l’Etat fait-il sur les qualités et les quantités des produits vendus à la pompe? A quoi ressemble la métrologie légale? Quel rôle joue le laboratoire national ? Quels sont les dégâts de cette consommation de produits de mauvaise qualité sur le parc auto ?

Bon à suivre.

Source : Abi-AlfaRendez-vous N° 300 du 16 mars 2017

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