Débutées en 2005 sous le Programme National de Modernisation de la Justice (PNMJ) et financées par des partenaires techniques et des pays amis du Togo, les multiples réformes engagées dans le secteur de la justice, peinent à satisfaire les justiciables et les rassurer quant à leurs utilités. Si les salles d’audiences et locaux des juges fascinent en termes de beauté architecturale, la qualité des jugements demeure quant à elle sujet à caution tant plusieurs magistrats bradent par militantisme éhonté, leur serment en dépit des années de sacrifices consentis pour cette cause. Ainsi, l’aggravation de la situation concède le pire : La justice togolaise s’effondre.

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Justice de la veuve et de l’orphelin, justice des droits bafoués et reniés, justice des opprimés et des couches asservies, justice des pauvres, justice des sansvoix, justice des enfants… bref le rêve d’une justice normale a toujours occupé les nuits des Togolais qui, comme les habitants des nations affranchies, veulent aussi que leur cause soit entendue, jugée et tranchée dans les règles de l’art. Mais, que nenni ! 

Manifestement, la justice togolaise a souvent montré des signes d’une condamnation à perpétuité sous l’autel des intérêts politiques et partisans. Et, bon an mal an, elle demeure sous l’étau des gouvernants qui se la payent à volonté et la manipulent. Conséquence : la justice au Togo n’a aucun repère et ne suscite aucun respect de la part des justiciables qui l’ont toujours défini en termes du plus offrant. Aujourd’hui, la situation est tout autant catastrophique que les causes qui l’y conduisent. Retour sur les pathologies et les facteurs endogènes d’un secteur en plein coma. 

La justice sous l’étau du politique… 

« Justice du fait du Prince ». L’expression est de Loïk-Le Floch-Prigent qui, dans son ouvrage Le Mouton Noir, revisitait ses ennuis judiciaires au Togo, vu qu’il a été interpellé par les autorités togolaises dans la fameuse affaire d’escroquerie internationale. L’ancien patron de la compagnie pétrolière ELF peignit un tableau relativement triste de la justice togolaise qui, disait-il dans ses interviews de présentation de l’œuvre, est notoirement au service du pouvoir public togolais. En effet, en surfant aussi bien sur la forme que sur le fond d’un dossier politiquement emballé remis aux soins des juges de parti qui usent du harcèlement judiciaire contre la personne d’Agbéyomé Kodjo, beaucoup de Togolais n’hésitent donc plus à décrire une justice aux ordres et aux bottes des patrons, justice inféodée à un régime et pour qui, elle garde une soumission des plus inimaginables.

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« Mandat d’arrêt contre Agbéyomé Kodjo dans le cadre de sa contestation des résultats de l’élection présidentielle ? Perversion des institutions togolaises et compromission des personnes qui les incarnent ». En accouchant ces mots, Nathaniel Olympio, le président du Parti des Togolais n’était pas dans une posture à écrire des fictions puisqu’il reste témoin oculaire d’un inédit judiciaire qui a, sans nul doute, bouleversé des projets de leur jeune parti politique. Oui, l’actuel président du Parti des Togolais se rappelle bien d’une parodie de justice dont a été victime son frère Alberto Olympio, ex-président du parti. 

Entré en politique en 2014 portant l’étole d’opposant et, montrant tout de suite ses griffes contre le parti des Gnassingbé, Alberto Olympio, ce jeune surdoué en informatique, donc une menace réelle pour les fraudeurs des élections au Togo, a été quelques mois plus tard victime d’une cabale judiciaire d’après ses proches. Dans un simulacre de procès suite à un différend avec Cauris Management, l’opposant Alberto a été condamné en 2016 à 60 mois d’emprisonnement ferme. Mais, absent du territoire un an plus tôt, et n’ayant pris part à aucune des audiences, la justice togolaise, comme à l’accoutumée, dure contre les opposants gênants au régime, a lancé un mandat d’arrêt international contre M. Alberto Olympio pour délit de fuite. « Le différend en lui-même est commercial, la cause du différend purement politique. Ne nous voilons pas la face », avait déclaré M. Alberto.

Si un Olympio peut en rappeler un autre, il faut faire observer que Harry Olympio, frère de Alberto et de Nathaniel, président du Rassemblement pour le Soutien à la Démocratie et au Développement (RSDD), est aussi sous mandat d’arrêt international depuis 2006 à cause des cocktails Molotov lancés par les militants de son parti dans les locaux de la Gendarmerie nationale en guise de protestation contre le massacre de plus de 500 Togolais par l’armée en 2005. Recherché par la justice, Harry Olympio n’a plus jamais remis pied au Togo au risque de faire sa deuxième expérience dans les geôles de la prison civile de Lomé. 

Si leur oncle « détia » a plus de chance d’aller et de revenir au Togo sans être inquiété, il faut souligner que Gilchrist Olympio de l’UFC qui aujourd’hui, se la coule douce dans les bonnes grâces du régime Gnassingbé, a lui aussi été sous mandat d’arrêt international à l’époque où tout le faisait passer pour un sérieux opposant, très menaçant pour le même régime. 

Mandat d’arrêt international ! Il faut retourner à l’affaire d’escroquerie pour se rappeler que un, a été aussi délivré contre le sieur Sow Bertin Agba, celui que le régime présentait comme le principal cerveau de cette affaire avant de vouloir enfin l’utiliser pour détruire politiquement un partenaire devenu encombrant pour le suzerain craintif. « La principale cible dans cette affaire, c’était Bodjona. Puisque le troisième jour de mon arrestation, on m’avait présenté au Colonel Massina qui me demandait de reconnaît que j’avais escroqué un partenaire de 48 millions, mais aussi de reconnaître que M. Bodjona, l’ancien Ministre de l’Administration territoriale était le cerveau de cette affaire. Que c’était le chef de l’État togolais Faure Gnassingbé qui me le demandait », avait déclaré M. Agba après son incarcération et son départ rusé du Togo. 

De ces multiples faits, il a ppert que la justice togolaise a souvent été instrumentalisée par le pouvoir public pour des règlements de compte politique comme l’atteste le rapport du HCDH en 2013 : « la question de l’indépendance de la magistrature togolaise, tant sur le plan institutionnel qu’individuel, est un problème complexe. En effet, différents interlocuteurs ont partagé des cas qu’ils considèrent illustratifs de l’ingérence de personnes influentes dans les affaires judiciaires… plusieurs ministres de la justice ont, par le passé, imposé leur point de vue aux juges sous la menace d’affectation ou de sanction ». 

Au demeurant, du fait de leur fréquence contre les politiques, généralement, contre les opposants au système RPT-UNIR, le mandat d’arrêt international se définit désormais au Togo comme la recette du régime Gnassingbé pour garder au loin possible les opposants gênants, surtout ceux qui sont vent debout contre la conservation du fauteuil présidentiel. Ce mandat d’arrêt international est aussi un épouvantail pour faire peur aux opposants qui tenteraient de revenir au pays pour troubler la tranquillité de l’empereur. Et parfois, tout ceci se fait en flagrant délit de complicité active avec des magistrats qui ainsi, foulent aux pieds leur serment et assassinent leur conscience. Ce faisant, ils feignent ignorer qu’une dictature finit toujours par se nourrir de ses propres fils évidemment, de ses complices et soutiens. L’évidence de la pensée est bien connue des Togolais qui peuvent l’illustrer par l’image de l’arrestation de Kpatcha Gnassingbé, du général Assani Tidjani, de Pascal Bodjona, de Sow Bertin Agba, et récemment de Messan Agbéyomé Kodjo. 

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Dans une dictature, nul n’est à l’abri du risque. Que les magistrats togolais se gardent d’être instrumentalisés pendant qu’il est encore temps d’éviter la malheureuse prédiction de Me Charrière-Bournazel, l’un des avocats de Kpatcha Gnassingbé. Il avait écrit un brûlot au magistrat Pétchélébia, président de la cour lors du procès de coup d’état. Il dit : « … l’audience scelle votre déshonneur : rien ne vous a arrêtés, ni la vacuité du dossier, ni les témoignages poignants d’hommes montrant les marques des tortures qu’ils avaient subies pour leur arracher des aveux, ni l’outrecuidance du général Kadanga venu comme témoin à la barre, mais en réalité vous donnant des ordres pour condamner sans que vous émettiez la moindre protestation. Vous avez, sans frémir, condamné à des peines d’emprisonnement allant jusqu’à vingt ans des hommes innocents. Vous n’en avez relaxé aucun, malgré les réquisitions du ministère public qui cherchait à en épargner quelques-uns. Je n’escompte d’aucune manière l’éveil de votre conscience. Sachez seulement qu’un jour ou l’autre, inexorablement, l’Histoire est amenée à juger les juges. Je souhaite que ce jour-là, vous soyez confrontés à des juges dignes de ce nom et que vous puissiez compter sur le dévouement, l’intégrité et le talent d’avocats semblables à ceux dont vous avez méprisé les plaidoiries. Je n’ai évidemment aucun respect à vous manifester ». 

Ainsi, les agitations de l’exécutif pour contrôler le judiciaire irritent véritablement : « Il faudra alors combattre l’invasion de l’institution judiciaire par l’exécutif pour une indépendance effective du magistrat », disait le juge Henry Dogo, magistrat du ministre public. Devenue très préoccupante, cette situation a franchi le seuil du tolérable et, la justice togolaise, au-delà du déshonneur, s’effondre. 

Sylvestre BE

La Manchette

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