Cet article est une suite et fin d’un autre article publié sur le même sujet.
FIRST VISION INTERNATIONAL : une société fantôme ?
La réponse à cette question permettra de comprendre les dessous des cartes et tous les circuits de la magouille. Au début, plusieurs entités, que ce soit dans le monde des médias ou parmi les sportifs, soupçonnaient Sergio Sport, l’équipementier dont le nom est revenu dans le scandale de la CAN 2013 en Afrique du Sud.
Mais est-ce bien à lui qu’appartient la société FIRST VISION INTERNATIONAL ? Approché, le Secrétariat de la FTF dit ne rien savoir de cette société,
« Moi je ne connais pas la société ; c’est dans le rapport d’audit que j’ai aussi découvert que c’est FIRST VISION INTERNATIONAL qui a fourni les costumes », déclare Pierre Lamadokou le SG. « Nous (la plupart des responsables de la FTF), nous avons fait office du Comité d’Organisation, et c’est à nous de choisir les prestataires ; si c’est que les choses s’étaient faites normalement, nous devrions savoir à qui appartient cet établissement de fourniture d’habillement sportif. Tout s’est fait au niveau du ministère des Sports, donc il faut s’adresser aux services du ministre », nous a-t-il lancé, avec un sentiment de rancœur plus ou moins tenace difficile à avouer.
« Il doit s’agir sûrement encore d’une société écran de Sergio », lance un confrère qui a requis l’anonymat, avant de conclure qu’en bon homme d’affaires (sic), il faut jouer sur tous les tableaux. Et je puis vous assurer qu’il sait bien le faire, renseigne-t-il. Il devrait bien connaitre l’homme.
Mais jusqu’ici, rien ne nous renseigne sur le vrai propriétaire de FIRST VISION INTERNATIONAL. Nous avons décidé de soumettre au téléphone une série de questions à Serge Bénissan sur son implication dans ce dossier scandaleux. Nous vous appelons au sujet de la confection des vestes pour la participation des Eperviers à la CAN Gabon 2017.
Quel est votre degré d’implication ? Telle était notre première question.
« Non au fait, moi je ne suis pas impliqué dans cette affaire. Parce que, c’est les gens de la Fédération qui sont en train de compliquer leurs vies à eux, selon moi. Parce que j’avais parlé de ce dossier avec le Président. Maintenant, il y avait eu un problème. Après, je me suis retiré de tout ce qui concerne la Fédération et la CAN, tout.
Même pour aller à la CAN, le Président m’a appelé, ils m’ont réservé des billets, je ne suis pas allé. J’ai dit que je ne viens pas parce que je ne veux pas de problème. Maintenant, c’est eux-mêmes qui voulaient donner le truc à quelqu’un, d’accord ? Il y a plusieurs personnes qui ont envoyé le dossier finalement et le ministère a envoyé le truc au niveau de la PRMP pour un appel d’offres qui a été fait en bonne et due forme pour ceux qui ont déposé les dossiers.
Et je pense que celui qui a été plus intéressant au niveau prix ou je ne sais pas quoi, le service qui gère ce truc a pris la décision. Donc comme j’en ai parlé avec le Président, je lui avais fait la proposition que je pouvais le faire, et vu qu’il y a eu des problèmes et je me suis retiré, ils veulent tout mettre sur moi parce qu’ils veulent la tête du ministre et ils sont en train de faire des trucs. Je ne suis pas mêlé à ça. J’avais parlé avec le Président sur ce sujet. C’est moi qui ai été le voir pour lui dire si on fait ça, que je peux, parce qu’à la base avant d’avoir ne faisais que ça.
A la base, je n’avais pas de magasin de sports. Quand j’ai vu que le marché des costumes et des chemises est saturé, c’est en ce moment que j’ai décidé d’ouvrir un magasin de sports. Même Kanal boutique de Modeste, le DG de Kanal Fm qui a ouvert une boutique, c’est moi qui l’ai aidé pratiquement à le faire. Quand je vivais en France et faisais ces trucs, il faisait partie de mes clients qui achetaient des costumes et des chemises.
Comme je suis parti, il a continué. Donc c’est mon domaine à la base avant de rentrer dans le sport; c’est pour ça j’ai été proposé mes services. Comme le Président m’a dit non, j’ai compris après une discussion avec le Président leur position par rapport à moi, surtout ce qu’il aura à faire. Donc j’ai compris que c’est mieux pour moi de me retirer de tout ce qui touche la CAN pour qu’ils ne trouvent pas des moyens de me salir ou de dire n’importe quoi. Donc, je me suis retiré.
Maintenant, ils ont envoyé les dossiers de ceux à qui ils veulent donner le truc. Le président m’a dit qu’il a un ami qui est en France et à qui il veut donner et qui a envoyé un truc. Je n’ai pas vu. Maintenant, ils sont sortis et ont recommencé et ils veulent nous chambouler tous. Déjà, je ne suis pas à Lomé, je ne vais me mêler de leur truc. Ce truc-là, si tu veux vérifier, il faut s’adresser au ministère, ils vont dire exactement ce qu’ils ont fait.
Mais quand les trucs ont commencé après la CAN, je me suis renseigné, j’ai approché le ministère, notamment Franck Missité et le ministre même. Ils ont fait l’appel d’offres en bonne et due forme par rapport à ceux qui ont déposé le dossier. C’est le service de PRMP qui gère l’appel d’offres, qui a géré ce dossier et qui a attribué le marché », a-t-il répondu.
« Est-ce que c’est vous qui avez habillé les supporteurs ?», lui avons nous demandé ensuite. Il répond :
« Non, non, je n’ai rien fait. Si j’ai fait, j’allais mettre mon nom dedans. Tous mes trucs sont griffés Sergio. Même les T-shirts publicitaires, que ce soit à Togocel, Moov et autres, tout est griffé Sergio ».
Troisième question : «Nous avons appris un nom, FIRST VISION INTERNATIONAL, avez-vous une fois entendu parler de ça ?
« Oui, j’ai entendu parler. Ils ont parlé dans le dossier. Ce n’est pas moi. Moi, c’est Bensergio International » . « Vous connaissez quelqu’un de cette entreprise-là ?» « Non je ne connais personne », répond-il.
A la FTF, à Sergio Sport comme au ministère des Sports, personne n’a la moindre idée du propriétaire de la société FIRST VISION INTERNATIONAL. Mais un indice non moins important intrigue. Dans le procès-verbal de constatation de livraison en date du 11 janvier 2017? la veille du retour de l’équipe à Lomé, dont la rédaction s’est procuré une copie, un nom apparait, celui de Dakpogan Boris, représentant du directeur de la société FIRST VISION INTERNATIONAL attributaire de la lettre de commande.
Selon des sources concordantes, ce fameux Dakpogan Boris serait l’un des hommes de main de Serge Bénissan alias Sergio Sport. Pour comprendre cette nébuleuse et démêler le vrai du faux, nous avons consulté le registre du CFE (Centre de formalité des entreprises) pour avoir une idée précise du propriétaire de FIRST VISION INTERNATIONAL. Le registre nous renseigne que cette société enregistrée sous le numéro RCCM TG-LOM-2016 A 3901 est une entreprise appartenant à Mme Ahoomey-Zunu Adèle P.N. M. revendeuse demeurant à Lomé, quartier Tokoin Dogbéavou.
Le siège de la société se trouve à Lomé sur le boulevard du 13 janvier à Nyekonakpoé. Le 24 novembre 2016, au terme d’un acte authentique, le fonds de commerce de FIRST VISION INTERNATIONAL a été cédé par Mme Ahoomey-Zunu Adèle à Monsieur Kpodar Adama Amenyo, mécanicien de son état domicilié à Lomé quartier Kpogan Agbavi. Nous avons joint M. Kpodar Adama Amenyo, nouveau propriétaire de la société pour savoir si c’est lui qui a livré les vestes.
A la question de savoir si c’est lui le propriétaire de la société et s’il a livré des vestes aux Éperviers, voici sa réaction :
« Oui, oui, c’est à moi l’entreprise. Je suis dans le milieu sportif, je suis un ancien joueur, j’ai eu échos et j’ai déposé les offres. J’ai livré les équipements. C’est mon entreprise, pourquoi vous voulez savoir tout ça ? Je suis un jeune entrepreneur. C’est ma première fois de postuler, je suis rentré dans le métier il n’y a pas longtemps. Je suis mécanicien. Je suis aussi dans le milieu sportif ».
Où se trouve alors le siège de votre société ? Il répond :
« Je travaille à la maison, vous pouvez me rappeler après, je suis avec quelques clients ».
Entre les déclarations de M. Kpodar Adama Amenyo et celle de la personne responsable des marchés publics du ministère des Sports, la contradiction est criarde, tout comme sur le siège de la société. Pourquoi Mme Ahoomey-Zunu Adèle a t-elle subitement décidé de se débarrasser de son fonds de commerce alors qu’elle venait de gagner un appel d’offres de livraison des costumes aux Eperviers ?
La cession de l’entreprise et la date d’évaluation et d’attribution sont presqu’à la même période. Nous avons cherché à connaitre davantage cette mystérieuse Ahoomey-Zunu Adèle. Plusieurs semaines d’investigation nous ont permis de savoir que Ahoomey-Zunu Adèle n’est que la tante, c’est-à-dire la petite sœur à la mère de Serge Benissan alias Sergio Sport. Et c’est d’ailleurs elle qui tient la boutique de Sergio Sport sur le boulevard du 13 janvier.
Et pourtant Sergio Sport nous a certifié n’avoir jamais entendu parler de dame Ahoomey-Zunu Adèle qu’il appelle pourtant affectueusement « Tanty Adèle », tout comme son homme de main le fameux Dakpogan Boris. En tentant d’appeler le sieur Kpodar Adama Amenyo sur un autre numéro visible sur le quitus fiscal, une dame a décroché le téléphone. Nous avons cherché à parler à M. Kpodar, elle dit ne pas le connaître.
Aussi curieux que cela puisse paraître, cette dame se trouve être Mme Ahoomey-Zunu Adèle, celle-là même qui aurait cédé son fonds de commerce à Monsieur Kpodar Adama Amenyo. Au vu de toutes ces informations, il apparait clairement que le choix de la société FIRST VISION INTERNATIONAL par le ministère n’est un hasard. Le ministre Guy Madjé Lorenzo à qui l’on prête des liaisons obscures avec Serge Bénissan alias Sergio Sport, savait que cette société écran appartenait bel et bien à Sergio Sport.
Pour brouiller les pistes et ne pas apparaître comme le bénéficiaire de ce marché, Sergio Sport s’est arrangé pour que la société créée au nom de sa tante soit rapidement cédée à un autre faire-valoir, mécanicien de son état, qui, de ses propres aveux, est incapable de nous situer le siège de sa société.
La CAN, la poule aux œufs d’or des prévaricateurs
A la lumière de tout ce qui précède, des versions de chacun des acteurs impliqués dans ce nouveau scandale aussi retentissant que les précédents, tout Togolais lucide peut se faire une idée de ceux qui se sont sucrés dans la commande des vestes.
Au-delà des méthodes de voyou dignes de la mafia sicilienne avec des sociétés écrans aux imbrications obscures dignes d’une nébuleuse, c’est la gloutonnerie qui consiste à se faire beaucoup d’argent sur le dos de l’État en livrant des marchandises à des prix exorbitants qui choque la conscience.
En parcourant le tableau des offres passées en fac-similé, on peut imaginer jusqu’où les gens peuvent aller dans leur entreprise de saignement des caisses de l’État avec la caution des officiels. On comprend aussi mieux pourquoi autour du football, surtout des participations des Éperviers à la CAN, il y a autant d’acteurs, d’agitateurs, de « crisologues » de kleptomanes de tout acabit qui se livrent à une guerre sans merci.
Renforcés dans leurs entreprises macabres par l’impunité qui leur est assurée depuis le sommet de l’État du fait de leurs relations familiales avec certaines autorités ou de la complicité assurée de ces dernières qui prennent aussi leur part de retro-commission, ils n’hésitent pas, sous le couvert des sociétés fictives, à rééditer à chaque participation des Éperviers à la CAN le même exploit de pillage pendant que leurs protecteurs dont certains sont directement liés à leurs familles déclament sur les médias que « personne ne garderait par devers lui un seul centime de nos francs ».
Cette investigation conduite de mains de maîtres depuis des semaines par des journalistes chevronnées avec une très grande patience, a permis de situer un tant soit peu l’opinion sur une partie de la mafia qui se sucre sur le dos du football togolais. Il revient aux autorités qui clament partout leur volonté de lutter contre la corruption sous toutes ses formes, de prendre leurs responsabilités. Bon à suivre.
Source: L’Alternative No 667

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