Le journaliste d’investigation Ignace Sossou a live-tweeté un workshop organisé par CFI, l’agence française de coopération du ministère des affaires étrangères. Une lettre du directeur Afrique de CFI envoyée au ministre de la justice du Bénin se désolidarisant totalement du journaliste et l’accusant de manquement déontologique a été utilisée lors de la comparution aboutissant à sa condamnation. Nous apportons ci-dessous les preuves de sa bonne foi.

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Le journaliste d’investigation béninois Ignace Sossou, membre de la Cellule Norbert Zongo pour le Journalisme d’Investigation en Afrique de l’Ouest (Cenozo), du Réseau Initiative Impact Investigation (Réseau 3i) et collaborateur du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) a notamment travaillé sur l’enquête collaborative West Africa Leaks. Il a été condamné à 18 mois de prison et 200.000 Francs CFA d’amende (environ 300 €) pour “ harcèlement ” le 24 décembre par le tribunal de Cotonou. Son crime ? Avoir publié trois tweets reprenant les propos du procureur de la République Mario Mètonou lors de la conférence Verifox organisée à Cotonou par CFI le 18 décembre.

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Ces tweets ont provoqué le mécontentement du procureur, qui a fait pression sur Ignace Sossou pour qu’il les supprime, selon un communiqué de CFI publié le 2 janvier (qui n’est plus en ligne aujourd’hui).  Le journaliste a refusé. Au lendemain de la publication des tweets d’Ignace Sossou, face au mécontentement des autorités béninoises, CFI a adressé un courrier au ministre béninois de la Justice pour prendre ses distances avec le jeune journaliste d’investigation béninois. En trois phrases, le directeur de CFI Afrique, s’est ainsi totalement désolidarisé de la pratique et de la personne d’Ignace Sossou :

“Nous sommes désolés qu’un journaliste peu scrupuleux ait profité de ce moment privilégié pour tenter de faire un buzz aux dépends de M. le Procureur.

CFI se distancie évidemment de ces publications sur Facebook et de ce type de pratiques qui manquent à toute déontologie et donnent un mauvais nom à la  profession dans son ensemble.

Je tiens à vous informer par ailleurs, que ce journaliste et ce média ne font pas partie des bénéficiaires du projet Vérifox et, qu’à l’avenir, nous ne considérerons pas travailler avec lui.”

Notons qu’une semaine auparavant, CFI invitait Ignace Sossou comme “ journaliste d’investigation ” aux agapes de son trentième anniversaire à Paris, les 11, 12 et 13 décembre 2019.

Dans les heures qui suivent, le courrier commence à circuler sur les réseaux sociaux au Bénin. Le procureur de la République décide de déposer plainte, non pas sur le fondement des lois sur la presse, mais pour “harcèlement par le biais de moyens de communication électronique” sur la base du code du numérique.

Dans la nuit du 19 au 20 décembre, Ignace Sossou est arrêté et placé en garde-à-vue. Il est finalement cité à comparaître le 24 décembre devant le tribunal correctionnel de Cotonou où il est jugé en deux heures (son avocate, celle de Bénin web TV, et les magistrats découvrent le dossier à l’audience), selon les éléments réunis par le réseau 3I. La lettre à charge de CFI a été lue lors de sa comparution, comme le rapporte le réseau 3I. Ignace Sossou est finalement condamné à 18 mois de prison ferme et 200 000 francs CFA d’amende.

Dans son communiqué du 2 janvier, CFI regrette l’attitude du journaliste. “ Parce qu’ incomplètes, ces publications pouvaient expliquer leur retrait. Sollicité par nos équipes et différentes parties prenantes, Ignace Sossou n’a pas voulu entendre que les messages qu’il avait diffusés pouvaient lui porter atteinte tout autant qu’ils étaient préjudiciables à CFI ainsi qu’aux participants et intervenants du forum ”, justifie l’agence, qui a finalement condamné sans équivoque l’incarcération d’Ignace Sossou le 8 janvier. CFI “ présente ses excuses quant au déroulement des événements dont il a été victime et s’indigne d’avoir été instrumentalisée dans le cadre de cette décision. ”

Au regard des enregistrements de la conférence, Ignace Sossou a en effet retranscrit fidèlement les propos du procureur de la République via ses tweets :

Extrait de l’enregistrement :

Alors l’encadrement juridique du phénomène -là j’ai souri quand mon prédécesseur a présenté son plan- c’est un encadrement juridique limité. Et j’ai souri parce que -on se rejoint là-dessus- les lois sur la question, elles sont imprécises. Il y a des contenus, des définitions assez souples, voire floues qui font que les textes et surtout le code du numérique apparaissent comme un fourre-tout.

Et heureusement ou malheureusement, je n’en sais rien, ce code numérique c’est comme une arme qui est braquée sur la tempe de chaque journaliste ou de chaque web activiste. Malheureusement on pourra toujours trouver dans le code un article ou un texte de loi pour punir un web activiste ou un administrateur de forum, même un journaliste -je le dis pas très haut, mais bon- qui publie ou relaie de fausses informations. ”

Extrait de l’enregistrement :

“ Comment est-ce que le droit Béninois assure l’encadrement de ce phénomène. Le docteur a parlé tout à l’heure des coupures d’Internet au cours des dernières élections. Le docteur a parlé des difficultés que les législateurs, que ce soit au Bénin ou ailleurs, ont pour encadrer ce phénomène.

Pourquoi il y a ces difficultés-là ? Deux raisons. La première, c’est que nous sommes au confluent de plusieurs droit et de droits fondamentaux: la liberté d’expression, la liberté d’opinion qui sont des droits constitutionnellement garantis. La deuxième raison c’est que le phénomène est tellement important que cette coupure d’Internet que l’on a observé ici et dans d’autres pays africains pendant les périodes électorales traduisent pour moi un aveu de faiblesse des pouvoirs politiques face au phénomène des fausses nouvelles. ”

Extrait de l’enregistrement :

“ Moi, en tant que procureur, c’est au détour de différentes décisions -je vous l’ai dit, tout à l’heure- fluctuantes qui sont prises en la matière, faire un point de la jurisprudence et montrer que la législation actuelle, telle qu’elle est, n’est pas gage de sécurité pour les justiciables.

Parce que, quand vous venez au tribunal, vous devez avoir -il y a ce qu’on appelle la prévisibilité de la justice, une certaine constance- vous devez peu ou prou être sûr de la décision qui va être rendue. Vous ne pouvez pas venir en vous disant non, non, non… tel que c’est, tels que les faits se présentent, il n’y a aucune chance que je sois condamné. Et en sortir avec une lourde condamnation. ”

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Le procureur de la République a également déclaré : “ Moi, procureur, je bois du petit-lait car je n’ai pas à faire beaucoup de démonstration pour obtenir la condamnation de quelqu’un ”. Ce qu’il s’est empressé de démontrer quelques jours après ces déclarations.

Comme l’attestent les enregistrements de la conférence du 18 décembre à Cotonou, il n’a été précisé à aucun moment que les déclarations devaient rester confidentielles. Le “ off ” n’a pas été mentionné, pas plus que de “ la règle de Chatham House ”, qui interdit de mentionner les participants à une réunion. C’est même l’inverse, puisque le procureur a affirmé à plusieurs reprises qu’il ne pouvait pas donner des détails sur des “ affaires en cours ”; montrant là qu’il intervenait bien dans un espace public. Ces propos publics étaient donc susceptibles d’être cités dans un média, d’autant que le magistrat savait qu’il s’adressait à un public de professionnels de l’information.

Ces éléments démontrent que la condamnation d’Ignace Sossou est absolument injustifiée. Notre confrère n’a en aucun cas trahi les propos du procureur de la République Mario Mètonou. GIJN condamne avec la plus grande fermeté la décision de justice prise par le ministère public béninois et appelle à la libération d’Ignace Sossou dans les plus brefs délais.

Source: gijn.org

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