Le Bénin n’aura jamais, depuis trente ans, connu une telle tension pré-électorale. L’opposition délibérément exclue, répressions policières, prises à partie d’anciens présidents, manifestations interdites, rien n’aura fait entendre raison à la majorité. Ni les appels des évêques, ni les inquiétudes du nonce apostolique, ni même la mise en garde de l’Union européenne ou encore, le rappel de Paris et de Washington. Patrice Talon veut aller jusqu’au bout, garantissant à ses deux blocs d’écrasantes victoires le 28 avril prochain.
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Cotonou. Mi-avril, la campagne vient de commencer.  La tension est palpable dans le pays. Les médiations internationales (Organisations des Nations Unies, Onu, et Communauté économique des états de l’Afrique de l’ouest, Cedeao) n’y ont pas apporté de solutions.  Fébrile, le pouvoir est d’ores et déjà sur pied de guerre. A Porto-Novo, ville sensible d’autant qu’il est le bastion du Parti du renouveau démocratique (Prd), historique formation politique elle aussi écartée des législatives, les chars bandent les muscles sous un soleil de plomb. A Cotonou, capitale économique, un déploiement excessifs de la police républicaine impose un ordre précaire et l’impression d’une énorme fragilité s’empare d’un pays pourtant longtemps, modèle démocratique.   Si dans son intervention télé  du 12 avril, Patrice Talon tente de minimiser et de rassurer,  le pays n’aura jamais été aussi proche du gouffre. Et les appels à la raison ne semblent pas remettre en cause un processus électoral dont on force, entre déclarations interposées d’opposition et de mouvance présidentielle.  Que reste-t-il vraiment de la démocratie béninoise aujourd’hui ?
Un code électoral « crisogène »
Patrice Talon, élu en 2016, a dépensé beaucoup d’énergie pour modifier la constitution, promouvant notamment le mandat unique, mais par deux fois, il a échoué. Ne s’avouant pas vaincu, il prend bien sa révolte sur le peuple, se trouvant un joker. Le 26 juillet 2018, la loi portant charte des partis politiques votée, apporte de nouvelles dispositions sur la création et le financement de ces derniers. C’est dans ce cadre qu’il a demandé à tous les partis qui le soutiennent de former deux grands blocs. Ceci lui a permis de posséder à lui seul deux partis : le Bloc républicain et l’Union progressiste. Le 03 septembre 2018, c’est un nouveau code électoral qu’il fera voter pour tout simplement faire flamber la caution des élections. Avec ce nouveau code, la caution pour la Présidentielle passe de 15 à 250 millions et les législatives de 8,3 à 249 millions par liste. De quoi cela est-il le répondant, si ce n’est le suffrage censitaire ? Disposant de quelques tonnes milliards acquis grâce aux marchés publics et aux faveurs de ses prédécesseurs, Talon fait d la politique une guerre d’argent. L’opposition minoritaire n’a pas réussi à faire barrage à ces différentes lois. Ce sont toutes ces lois opportunistes que Boni Yayi qualifie de «lois génératrices de conflits» ou encore «lois drones», selon le Pr. Joël Aïvo, réputé juriste qui, malgré ses initiatives multiples, n’a pas pu faire retrouver raison au chef de l’Etat. Sa dernière carte c’est ce certificat de conformité qui exclut l’opposition de facto de la participation aux Législatives.
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Les Soglo et Yayi, derniers remparts
Face à cette exclusion programmée, le mot d’ordre des opposants est sans ambages. «Il n’y aura pas d’élections sans l’opposition».  Les anciens présidents, Yayi Boni de Force Cauris un Bénin Émergent (Fcbe), Nicéphore Soglo de Renaissance du Bénin (Rb) l’ont martelé maintes fois. Vendredi, ces deux personnalités ont effectué une descente inopinée dans le grand marché Dantokpa pour prendre le pouls du pays. Spontanément les populations ont accouru vers elles pour rechercher du réconfort et écouter leur message. Mais la police dite républicaine a vite largué du gaz lacrymogène et dispersé le rassemblement, alors que Rosine Soglo, icône de la résistance et encore parlementaire, très affaiblie qui n’a plus l’usage de ses yeux prenait la parole. Une scène déplorable qui fera le tour du monde, sur les réseaux sociaux, donnant du Bénin la piètre image qu’il s’est évité jusque-là. Jeudi 18 avril, Boni Yayi est, lui aussi, sorti de la réserve qu’il s’était imposé pour ne pas interférer dans la gestion de son successeur. «Cette gouvernance permanente de musèlement et de provocation instaurée depuis 3 ans est montée crescendo avec le vote de la loi  sur la charte des partis politique et la loi électorale», se désole-t-il. Pour plus d’un Béninois, Talon joue avec le feu. Mieux le laboratoire de la démocratie et berceau des conférences nationales des années 90 n’est pas à l’abri des scénarios à la soudanaise ou à l’algérienne et même pire que ceux de la Côte d’ivoire ou du Congo si Talon ne révise pas sa position pendant qu’il est temps. Les pays où des conflits ont éclaté ne pouvaient imaginer que cela pouvait leur arriver avant d’en avoir eu l’expérience. «Les Béninois ont ce côté pacifique. Mais le peuple béninois n’est pas différent du peuple du Togo, du peuple de la Rdc, tchadien, du peuple ivoirien. Les frustrations sont en tain d’atteindre le seuil critique de maturation. Si ça éclate on ne sait pas actuellement pour qui les forces armées qu’on fait circuler dans la ville vont prendre position », prévient le journaliste Joël Tchogbé.
Le Prd, syndrome d’un complice victimisant ?
Le Parti du Renouveau démocratique (Prd) d’Adrien Houngbédji, président de l’Assemblée nationale, qui a soutenu toutes ces lois conflictogènes se retrouve lui aussi exclu et tente de jouer la victime. Mais pour le journaliste Marcel Zouménou, Me Houngbédji ne devrait s’en prendre qu’à lui-même. «Le Prd n’est pas une victime de la situation. Il est responsable de ce qui lui arrive et de ce qui arrive au pays. On ne peut pas dire aujourd’hui que parce qu’on est exclu du processus, on n’est pas responsable». Dribblé par son fidèle allié, c’est peut-être la fin du compagnonnage avec le pouvoir. Pourtant, en août 2018, le Pr. Aïvo avait prévenu Houngbédji dans une lettre personnelle du danger des lois qu’il soutenait en ces termes. «Si ce code est adopté en l’état, la mise en œuvre de certaines de ses dispositions aura vidé le consensus du PLM Alédjo de son contenu, exposerait durablement le pays à des turbulences et déclassera indubitablement notre démocratie». Le constitutionnaliste ajoutait que ce qui l’inquiète davantage,«c’est la prolifération des lois personnelles, des lois drones fabriquées pour porter des roquettes et des missiles programmés pour frapper des personnes que l’on reconnait aisément».Pour sûr une assemblée nationale monocolore, à la solde exclusive de Patrice, c’est la voie royale pour toutes sortes de tripatouillages constitutionnels avec des députés godillots.
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Périlleux avenir pour la démocratie
Que reste-t-il vraiment de la démocratie béninoise aujourd’hui ? Presque rien ! serait-on tenté de répondre et à juste titre. Le processus de démantèlement de la démocratie béninoise est en bonne marche. D’ailleurs pour Marcel Zoumènou, c’est un vieux plan. «Les problèmes que nous avons n’ont pas commencé avec le processus électoral. C’est depuis le 06 avril 2016 que les problèmes ont commencé. Le projet de destruction de la démocratie béninoise a commencé depuis ce jour. Il y a eu beaucoup d’actes qui ont été posés avant le processus».
Élu en 2016 avec 65,39% des voix, le candidat Patrice Talon qui a fait campagne en promettant un renforcement de la démocratie, de lutte contre la corruption et la protection des droits et les libertés, s’est détourné de toutes ces promesses. Gagné par l’ivresse du pouvoir, imbu d’une sensation de toute puissance, il mène le pays dans l’incertitude et au gré de ses humeurs. Poussé par une dérive autocratique, Talon sombre désormais dans l’arbitraire : opposants écartés du processus électorale, d’autres contraints à l’exil, journalistes arrêtés arbitrairement, journaux indépendant fermés abusivement. D’ailleurs le dernier rapport de Reporters sans frontière montre que le Bénin a perdu 12 places passant de la 84è place en 2018 à la 96è en 2019. Le pays est aujourd’hui sous la coupe réglée de «Sa Majesté», Patrice Talon.
Frédéric NACÈRE, Dakar, Afrika Stratégies France

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