La mise en liberté surveillée ce 24 avril 2020 d’un candidat à qui l’on reproche de revendiquer une victoire que les urnes lui ont donnée est le dernier avatar d’une affreuse erreur d’appréciation qui date depuis 1963.

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Dans les années 1960, l’Afrique nouvellement indépendante baignait dans les coups d’état, civils ou militaires, qui mettaient aux prises deux parties de la classe politique : la mouvance et l’opposition.

Quand l’opposition trouvait que la mouvance avait suffisamment rempli sa panse, elle n’attendait pas les élections, elle soudoyait une partie de l’Armée et celle-ci lui offrait le pouvoir par un coup d’état.

Quand celui du Togo est intervenu en 1963, le peuple togolais était dans cet état d’esprit. En effet, de 1956 à 1958, la mouvance c’était Nicolas Grunitsky, de 1958 à 1963, c’était Sylvanus Olympio.

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Cinq ans de mouvance ! Il était temps de laisser la place à Grunitsky. Ainsi pensait le bon peuple des chaumières et il n’avait pas tort puisque c’est effectivement Nicolas qui prit la place de Sylvanus à la suite du coup.

Mais le peuple se trompait, parce que ce n’est pas Grunitsky qui a fait le coup d’état de 1963. Le coup a été perpétré par une demi-douzaine de réformés des armées coloniales françaises pour le compte de la France. Une France qui ne voulait plus compter sur aucune partie de la classe politique, le plan du Général de Gaulle étant d’installer au pouvoir l’Armée togolaise, plus facile à tenir en laisse.

Si elle a quand même fait appel à Nicolas Grunitsky pour trois ans, c’est pour se donner le temps de faire un bon casting au sein des sergents de service et de former le futur homme fort de demain. Personne n’ignore que pendant que Grunitsky gérait tant bien que mal « l’union et la réconciliation », Eyadéma, sorti vainqueur du casting, recevait des cours à domicile, son précepteur étant un coopérant spécialement dévolu à cette tâche.

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Quand l’oiseau a été prêt pour voler de ses propres ailes, un nouveau 13 janvier a été organisé en 1967. Désormais le pays était géré à partir des casernes et les grandes réunions d’état se tenaient au camp militaire, lieu de résidence du Chef de l’état. Tout ce qui pouvait y avoir comme autorité dans le pays, syndicats, autorités traditionnelles, intellectuels de gros calibres, tous y passaient à tour de rôle pour recevoir chacun sa dose d’humiliation et de dressage.

Le Général de Gaulle et son agent Focart avaient atteint leur objectif : faire du Togo un pays dirigé non pas par une classe politique mais par l’Armée, une institution de l’Etat. L’Armée dirige le pays, recrute des mercenaires civils locaux ou étrangers pour les tâches politiques qu’elle ne peut pas assumer elle-même. Après avoir institué le monopartisme dans toutes ses anciennes colonies, la France instruisit l’Armée togolaise à l’effet de créer son parti et d’en faire le parti unique. Là encore il s’est trouvé des mercenaires civils togolais pour monter le parti et l’animer dans une perspective totalitaire.

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En 1989-90 la Conférence nationale souveraine n’a pas su transformer la passe de la jeunesse Ekpemog en renvoyant l’Armée dans les casernes et en mettant fin à cette bizarrerie de parti de militaires qu’est le RPT. Ils ont maintenu l’institution Armée au pouvoir et ont considéré son parti comme un parti légitime qui méritait une place sur l’échiquier politique togolais. Du coup, tous les partis nés après la CNS ou confirmés par elle, eux partis civils et constitutionnels, ont continué depuis 20 ans de considérer un parti militaire, donc illégitime, le RPT et son avatar actuel UNIR, comme un parti légitime avec lequel il est possible de compétir lors des élections, avec qui on peut dialoguer.

L’Armée au pouvoir, son parti ne peut jamais perdre une élection. Cela a été vérifié du temps de Gnassingbé-père, cela se vérifie sous nos yeux sous Gnassingbé-fils. Si tu es député ou maire, ce n’est pas parce que tu as gagné aux urnes, c’est parce que l’Armée t’en a donné l’autorisation, parce que le poste que tu occupes ne la dérange pas ou, mieux, l’arrange.

Mr Agbéyomé Messan Kodjo n’est pas le premier à gagner dans les urnes pour ensuite perdre sa victoire par la volonté d’un Conseil constitutionnel. Si nous en sommes là c’est parce que ou bien nous n’avons pas encore compris que c’est l’Armée qui est au pouvoir ou bien que nous croyons naïvement que l’Armée puisse être au pouvoir et en même temps assurer un état de droit.

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Si nous ne voulons plus perdre au Conseil constitutionnel ce que nous avons gagné dans les urnes, si nous ne voulons plus compter des morts au moindre couvre-feu, si nous ne voulons plus voir des officiers sortir en chasse dans la ville et tirer sur des enfants comme des lapins, si nous voulons ne plus assister à ces cortèges de morts au moindre mouvement des populations, faisons en sorte que l’Armée togolaise rejoigne les casernes et que ceux des corps habillés qui n’accepteraient pas d’être militaires s’ils ne sont plus au pouvoir soient libérés.

Les luttes futures en vue de ramener les soldats qui le souhaitent dans les casernes doivent commencer à dénoncer cette cohabitation incestueuse entre une classe politique et l’Armée dans l’exercice du pouvoir d’état.

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Les membres des partis politiques actuels qui acceptent cette perspective devraient quitter leurs partis respectifs car ceux-ci ont montré suffisamment leur inaptitude à lutter contre la dictature militaire actuelle.

Ces luttes ne seront plus des luttes-spectacles : plus de marches, plus de meetings, plus de réunions, plus de recherche de reconnaissance par l’état. Il faut intégrer les populations qui souffrent là où elles souffrent, dans les marchés, les ateliers, les champs, les rivières, le tout dans la discrétion. Pour survire le poisson doit vivre sans bruit dans l’eau.

Zakari Tchagbalé

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